Hier soir, j'ai eu à causer de mon boulot pour les éditions La Cafetière, petite maison chez qui j'ai fait deux albums en mon temps et chez laquelle une actu est à venir, mais j'en parlerai en temps utile.
Le bouquin dont il a été notamment question était La Dernière Cigarette, dessiné par Marc Botta et sorti en 2004, un drame historique situé entre le milieu de la Seconde Guerre Mondiale et les procès des criminels de guerre.
En en causant, je me suis avisé d'un truc. Cet album correspond au moment où je me suis avisé de tics d'écriture et d'un besoin d'y remédier.
Ceux qui l'ont lu, et ont lu Alcheringa, dessiné par Fred Grivaud et publié chez le même éditeur, auront peut-être noté que la narration est, dans les deux cas, appuyée sur des pavés de texte à la première personne. Le protagoniste se raconte. La plupart de mes scénarios datant de la fin des années 90 (j'ai dû commencer à travailler sur les premières versions de la Cigarette entre 98 et 99) usaient et abusaient de cette technique. L'essentiel de ce que j'ai produit à l'époque est resté inédit, probablement pour de bonnes raisons.
Ce qui signifie que je travaillais en parallèle, à un moment, sur la Cigarette et Central Zéro. Ce dernier album, très différent (il s'agit d'une histoire de science-fiction) a connu une version du scénario qui était elle aussi à la première personne. J'étais en fait, à l'époque, sous l'influence d'auteurs comme Frank Miller ou John Ostrander qui utilisaient énormément cet artifice (et Miller l'avait poussé dans ses retranchements à l'occasion de Batman : Year One et d'Elektra : Assassin, qui sont des véritables leçons dans ce domaine). Comme tout auteur débutant, je me reposais sur les recettes éprouvées de mes idoles.
Sur la Cigarette, le mode narratif fonctionne très bien, puisque l'introspection est un des ressorts du bouquin. Sur Central Zéro, dont le script a connu quatre versions majeures et très différentes (souvent incomplètes, je recommençais dès que je butais sur des problèmes de construction qui me semblaient insolubles à l'époque), et les premières avaient un côté thriller futuriste, à voix off façon Blade Runner dans sa version de 1982, très explicative.
C'est lors d'une de ces révisions que j'ai pris conscience du tic. Dans Central Zéro, cette voix off n'apportait pas grand-chose, et m'enfermait dans un cliché. Pire, elle me jetait dans des problèmes logiques si je voulais conserver certains mystères sur le protagonistes. Pire, j'avais trois albums au compteur, un publié et deux à venir, et tous fonctionnaient avec ça. De bonnes raisons de me priver de cette béquille, car dans le cas de celui-ci, c'en était clairement une. Je changeai la structure de l'album (pour arriver à celle qu'on connaît) et décidait délibérément de faire passer les choses par les dialogues, en évitant de m'étaler, en levant le pied.
D'une certaine façon, dans les années qui suivirent, je m'interdis méticuleusement de retomber là-dedans. Spawn : Simonie aurait pu fonctionner avec (du super héros qui se morfond, c'était taillé pour) et je n'y suis revenu, brièvement, que pour encadrer le tome 2 de Tengu-Do, le twist que représentait cet épisode de la série avait besoin d'être solidement marqué.
Depuis, pas d'autre occurrences dans mes BD. Je vise narrativement à une forme d'épure qui élimine au max les pavés de textes narratifs, qu'ils soient impersonnels ou basés sur une voix off, et souvent ces pavés sont utilisés comme éléments de dialogues, pour faire la liaison entre deux scènes, ou pour fonctionner en contrepoint.
Curieusement, la narration à la première personne est revenue en force dans mes romans. Depuis L'île de Peter, j'aime bien laisser à la parole à des personnages qui vont se livrer à l'occasion d'un long monologue interrompant délibérément le flot du récit. On retrouve aussi ce motif dans L'Ancelot, avec la scène du Morholt. Dans Les Canaux du Mitan, j'ai recours à des partie entières en narration à la première personne, qui me permettent de varier le ton en fonction du personnage point de vue, de changer de focale.
Me débarrasser de ce qui était alors à la fois un tic d'écriture, une coquetterie et une béquille a été une sage décision. À mesure que l'éventail des outils narratifs à ma disposition s'élargissait, j'ai réintroduit ça à petites doses. La différence, c'est qu'à présent je sais ce que je fais et pourquoi je le fais. Enfin, j'espère !
Commentaires
(ou tu te rattrapes aux meubles, aussi)