Il est presque devenu cliché de dire que nous vivons à présent dans un monde Orwellien, une prison panoptique évoquant le Village du Numéro 6, sauf que les Numéros 2 et autre Big Brothers sont plus insidieux, d'une nature plus distribuée. Les caméras de surveillance ne valent que ce que valent les types qu'on place à la surveillance des écrans, et l'actualité a démontré s'il en était besoin qu'ils ne valent pas grand-chose et que l'utilité de ces machins est toujours rétroactive, quand l'enquête épluche les bandes. "Vidéoprotection" ? C'est du flan. Du Novlangue. Oui, tous les tocards qui dénoncent "la" novlangue tout comme ils fustigent "la pensée unique" démontrent à la volée qu'ils n'ont pas lu Orwell : c'est "le" Novlangue, dans 1984*.
Et donc, Orwell.
Et outre Big Brother et le Novlangue, Orvell a pas mal développé un autre concept, conçu pour servir d'antidote aux deux autres : la "common decency", la décence commune. Orwell était un homme de Gauche qui se méfiait grandement de ce que devenait la Gauche en son temps. Autant dire qu'il aurait de quoi disserter de nos jours, face à notre Gauche qui se veut morale et qui n'est que bourgeoise.
La "common decency", c'était pour Orwell cette qualité qui permet à un homme de s'arrêter avant le dérapage. Pas vraiment un sens de l'honneur, simplement un respect de soi et des autres, un sens du bien public qui empêche l'énormité démagogique. On retrouve ça aussi, je crois, chez Camus.
Et on ne le retrouve chez à peu près aucun de nos acteurs politiques. Depuis une semaine (depuis avant, en fait, depuis au moins Charlie, mais là c'est un feu d'artifice), on a un festival d'indécence. Les responsables de la sécurité se renvoient la patate chaude là où dans tout autre pays civilisé, ils auraient démissionné ou auraient été limogés : le ministre de l'intérieur (qui ne reconnaît aucune faille, jamais, même quand il patauge dans les cadavres), le maire de Nice (qui reconnaît explicitement être un pantin), l'ancien maire (présentement adjoint à la sécurité)… Ils auraient le moindre atome de décence, ils présenteraient leur démission.
Plus haut encore, l'état et le gouvernement prolongent des mesures qui ont fait la preuve de leur inefficacité. On est en plein dans ces problèmes de dissonance cognitive, quand quelqu'un poursuit sur la voie de l'échec de peur de se déjuger, et cherche des responsabilités extérieures. Oui, c'est au premier ministre que je pense, descendant de Catalans républicains aux côtés desquels Orwell a combattu, et qui auraient honte de ce qu'est devenue leur lignée.
Et puis il y a tous les autres, tous ceux qui n'étant pas aux manettes dans l'affaire, donnent leur avis, leurs recettes, avec le sous-entendu bien épais que s'ils avaient été là, les choses se seraient passées autrement. Et donc, lances-roquette dans les rues (il a déjà vu tirer un lance-roquette, Monsieur Guano, ou pour lui ce n'est qu'un prix à l'exportation dans un catalogue de chez Matra ?), détention préventive arbitraire (un attentat le 14 juillet, jour de la prise de la Bastille, comme prétexte au rétablissement de l'arbitraire, c'est-y pas mignon ?) ou la "tolérance zéro" vieux serpent de mer qui enverrait en prison directement la plupart de ses défenseurs, vu les casseroles qu'ils se traînent.
Et ils se défendent de leurs énormités en disant que les critiquer est faire le jeu des terroristes, se mettre dans le camp des tueurs. Les voilà donc qui pratiquent le terrorisme intellectuel comme au plus beau temps des Maos et des Stals. Pour des gens de droite, ça fait désordre, mais c'est représentatif de leur confusion intellectuelle**.
Il y en a même, la bouche en cœur, pour nous dire que tout ça c'est la faute du respect aveugle de la constitution, et de l'état de droit. Rien que ça.
Je leur rappelle donc que la constitution, c'est précisément ce qui les a mis en position d'ouvrir leurs claques-merde avec l'autorité que leur confère leur état d'élus.
Je leur rappelle donc que l'état de droit, c'est ce qui a empêché jusqu'ici la foule des contribuables d'aller les déloger dans leurs permanences et leurs mairies pour pendre une bonne moitié d'entre eux, ceux qui ont échappé à la prison ou à l'inégibilité grâce à des arguties juridiques ou à d'opportunes lois d'amnisties, aux réverbères les plus proches.
On le sent bien, que ce qu'ils veulent, c'est l'abolition de l'abolition des privilèges. Ce qu'ils n'ont pas compris, c'est que rien, dès lors, ne justifie que ce soient eux, les détenteurs des privilèges en question. Ils se croient la nouvelle aristocratie, ils n'en sont que les fermiers généraux.
"Décence commune". Voilà ce que ces tristes sires ont oublié, et leur moindre déclaration est un attentat à la pudeur. Ils sont à la morale publique ce que DSK est à la vertu privée : de sales et répugnants petits pervers.
* Alors oui, je sais, en VO c'est Newspeak et l'anglais ne gère pas les genres à ce niveau, contrairement au français. Mais la consœur qui a fait la traduction a l'époque a fait ce choix, qui me semble dénoter une vraie réflexion sur les manipulations linguistiques de l'Angsoc.
** Ouais, deux fois le terme intellectuel en parlant de Chiotti ou Douillet, je sais que ça fait bizarre. J'y peux rien. Disons que c'est une tournure de style vaguement ironique.
Et donc, Orwell.
Et outre Big Brother et le Novlangue, Orvell a pas mal développé un autre concept, conçu pour servir d'antidote aux deux autres : la "common decency", la décence commune. Orwell était un homme de Gauche qui se méfiait grandement de ce que devenait la Gauche en son temps. Autant dire qu'il aurait de quoi disserter de nos jours, face à notre Gauche qui se veut morale et qui n'est que bourgeoise.
La "common decency", c'était pour Orwell cette qualité qui permet à un homme de s'arrêter avant le dérapage. Pas vraiment un sens de l'honneur, simplement un respect de soi et des autres, un sens du bien public qui empêche l'énormité démagogique. On retrouve ça aussi, je crois, chez Camus.
Et on ne le retrouve chez à peu près aucun de nos acteurs politiques. Depuis une semaine (depuis avant, en fait, depuis au moins Charlie, mais là c'est un feu d'artifice), on a un festival d'indécence. Les responsables de la sécurité se renvoient la patate chaude là où dans tout autre pays civilisé, ils auraient démissionné ou auraient été limogés : le ministre de l'intérieur (qui ne reconnaît aucune faille, jamais, même quand il patauge dans les cadavres), le maire de Nice (qui reconnaît explicitement être un pantin), l'ancien maire (présentement adjoint à la sécurité)… Ils auraient le moindre atome de décence, ils présenteraient leur démission.
Plus haut encore, l'état et le gouvernement prolongent des mesures qui ont fait la preuve de leur inefficacité. On est en plein dans ces problèmes de dissonance cognitive, quand quelqu'un poursuit sur la voie de l'échec de peur de se déjuger, et cherche des responsabilités extérieures. Oui, c'est au premier ministre que je pense, descendant de Catalans républicains aux côtés desquels Orwell a combattu, et qui auraient honte de ce qu'est devenue leur lignée.
Et puis il y a tous les autres, tous ceux qui n'étant pas aux manettes dans l'affaire, donnent leur avis, leurs recettes, avec le sous-entendu bien épais que s'ils avaient été là, les choses se seraient passées autrement. Et donc, lances-roquette dans les rues (il a déjà vu tirer un lance-roquette, Monsieur Guano, ou pour lui ce n'est qu'un prix à l'exportation dans un catalogue de chez Matra ?), détention préventive arbitraire (un attentat le 14 juillet, jour de la prise de la Bastille, comme prétexte au rétablissement de l'arbitraire, c'est-y pas mignon ?) ou la "tolérance zéro" vieux serpent de mer qui enverrait en prison directement la plupart de ses défenseurs, vu les casseroles qu'ils se traînent.
Et ils se défendent de leurs énormités en disant que les critiquer est faire le jeu des terroristes, se mettre dans le camp des tueurs. Les voilà donc qui pratiquent le terrorisme intellectuel comme au plus beau temps des Maos et des Stals. Pour des gens de droite, ça fait désordre, mais c'est représentatif de leur confusion intellectuelle**.
Il y en a même, la bouche en cœur, pour nous dire que tout ça c'est la faute du respect aveugle de la constitution, et de l'état de droit. Rien que ça.
Je leur rappelle donc que la constitution, c'est précisément ce qui les a mis en position d'ouvrir leurs claques-merde avec l'autorité que leur confère leur état d'élus.
Je leur rappelle donc que l'état de droit, c'est ce qui a empêché jusqu'ici la foule des contribuables d'aller les déloger dans leurs permanences et leurs mairies pour pendre une bonne moitié d'entre eux, ceux qui ont échappé à la prison ou à l'inégibilité grâce à des arguties juridiques ou à d'opportunes lois d'amnisties, aux réverbères les plus proches.
On le sent bien, que ce qu'ils veulent, c'est l'abolition de l'abolition des privilèges. Ce qu'ils n'ont pas compris, c'est que rien, dès lors, ne justifie que ce soient eux, les détenteurs des privilèges en question. Ils se croient la nouvelle aristocratie, ils n'en sont que les fermiers généraux.
"Décence commune". Voilà ce que ces tristes sires ont oublié, et leur moindre déclaration est un attentat à la pudeur. Ils sont à la morale publique ce que DSK est à la vertu privée : de sales et répugnants petits pervers.
* Alors oui, je sais, en VO c'est Newspeak et l'anglais ne gère pas les genres à ce niveau, contrairement au français. Mais la consœur qui a fait la traduction a l'époque a fait ce choix, qui me semble dénoter une vraie réflexion sur les manipulations linguistiques de l'Angsoc.
** Ouais, deux fois le terme intellectuel en parlant de Chiotti ou Douillet, je sais que ça fait bizarre. J'y peux rien. Disons que c'est une tournure de style vaguement ironique.
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