Je ne me suis pas particulièrement intéressé au phénomène Pokemon Go. D'une part parce que je n'ai pas l'équipement pour (mon téléphone portable est un "gloup-phone", un vieux crouton pas smart du tout), d'autre part parce que je n'ai pas de nostalgie de ces bestioles. La seule fois où j'ai joué avec des cartes Pokemon, c'était il y a une quinzaine d'années avec un de mes mômes qui voulait me montrer comment ça marchait. De base, je me sens assez peu concerné.
Mais le phénomène actuel, forcément, m'intéresse pas mal de par son ampleur, sa nature, et surtout par les commentaires qu'il génère.
L'ampleur et l'hystérisation du phénomène s'expliquent assez par ce que j'appelle généralement le "facteur nouveau jouet", un truc auquel je suis aussi soumis que les autres : une nouveauté cool, on a tendance à bricoler dedans et à essayer de la découvrir extensivement dès lors que l'on vient de se la procurer. C'est valable pour un jeu vidéo, pour un jouet un peu riche dans ses possibilités (je me souviens encore de ma première boîte de Playmobil, ou de mes premières figurines Star Wars quand j'étais minot), ou un gadget quelconque (rappelez-vous les folies iPod, iPhone, iPad, WoW, et avant cela l'appareil photo numérique, le magnétoscope, le mixeur multifonctions ou la photocopieuse). Il y a toujours une période plus ou moins longue où l'on est complètement à fond dans le truc. Ça va mécaniquement retomber.
La nature du phénomène, à présent, est une utilisation maligne d'un truc autour duquel on tourne depuis longtemps, la "réalité augmentée", mais qui vient d'un coup de trouver une application ludique et grand public. Sur le principe, c'est hyper intéressant de voir les gens s'emparer du concept, et ça le sera encore plus quand, grâce à cette visibilité nouvelle, des concepteurs y trouveront des applications plus concrète, mais tout aussi grand public.
Et le plus intéressant, comme de juste, ce sont les réactions de ceux qui n'y comprennent rien.
Ils sont choqués de voir des adultes s'adonner à la chasse aux bestioles virtuelles (sans s'offusquer de tous les adultes qu'on voit dodeliner de la tête à Roland-Garros pour un truc encore moins passionnant qu'une retransmission d'un concert d'André Rieu).
Car forcément, selon ces bonnes âmes, "Pokemon Go" éloigne les gens du réel. Bon, toutes ces bonnes âmes seraient déjà bien en peine de nous définir le "réel", vu que la philosophie s'y casse les dents depuis deux millénaires et demi, et ceux qui en ont des définitions péremptoires ne font que mettre en exergue leur rapport ténu avec lui. La définition la plus opérative sur laquelle je sois tombé, jusqu'ici, c'est celle de Philip K. Dick : "la réalité, c'est tout ce qui ne disparaît pas au moment où l'on cesse d'y croire", et c'est celle à laquelle je me tiens depuis lors.
C'est d'autant plus intéressant que certaines de ces critiques proviennent de politiciens qui ont pratiqué le discours incantatoire visant à faire apparaître dans le réel ce qu'ils souhaitent y voir arriver, comme la reprise économique, ou un adversaire assez puissant pour faire illusion et justifier leurs crapuleries pour s'en défendre (c'est la version "Pokemon légendaire" de la méthode Coué, pour situer). Ce sont également les mêmes qu'on n'entendra jamais fustiger le manque de compréhension du réel des économistes "orthodoxes"* et qui se draperont dans le "réalisme" autoproclamé pour imposer des lubies détruisant le réel de pas mal de gens.
Les joueurs de Pokemon Go sont-ils plus déconnectés du réel que n'importe lequel de nos gouvernants ou des ténors de l'opposition ? Ecoutez n'importe quel discours de Sarkozy ou de Valls, et vous êtes en droit de vous poser la question. Et vous noterez que tous ces braves gens semblent fans du football, auquel ils consacrent un temps et des sommes démesurées. Alors je pose la question, en quoi Pokemon est-il plus déconnecté du réel, plus mercantile ou plus stupide que le foot, Roland-Garros, le Tour ou les JO ? En plus, Pokemon n'est pas encore sponsorisé par Coca Cola, et rien que ce détail suffit à me le rendre sympathique. Et les scènes de liesse collective lors de la capture d'un Pikachu me semblent créer autant de lien que celles accompagnant un but du mec dont le surnom évoque un accident minier, là.
Après, on a les critiques de haut vol. Depuis le début de la folie Pokemon canal historique, on a des fondamentalistes religieux (de toutes obédiences, notons le, parce que les cathos boutinistes, les protestants calvino-ricains rednecks à guns, les juifs à papillotes et les musulmans à barbe pas entretenue sont parfaitement d'accords les uns avec les autres, comme sur plein de trucs dès qu'il s'agit de casser les noix des gens normaux) (c'est une mafia dont les étiquettes et emballages variables ne cachent pas la profonde unité de croyance et d'action) (gotta catch'em all), qui, en dehors de l'accusation classique de temps perdu** à jouer (alors qu'il est tellement plus intéressant de s'emmerder à écouter les prêches répétitifs de gens plus déconnectés du réel et plus mal habillés encore que le joueur de Pokemon Go moyen), accusent les Pokemons de propager la croyance en la théorie de l'évolution.
Et là, c'est intéressant parce que ça met en lumière le côté très pavlovien de ces cuistres. Hop, un mot clé et ils réagissent la bave aux lèvres sans prendre le temps de réfléchir (mais même quand ils ont le temps de réfléchir, ils ne le prennent pas, vu que ce serait perdre du temps par rapport aux prêches et tout le bastringue, air connu). Comme ils ne comprennent rien à la théorie de l'évolution, forcément, ça les amène à voir des trucs là où ils ne sont pas (marrant, ce rapport au réel et au virtuel à géométrie complètement variable) et donc à voir l'expression de la "théorie de l'évolution" le fait que chaque Pokemon de base peut évoluer dans une forme plus balaise. Sauf qu'en fait, le Pokemon se transforme lui-même à la façon d'une chenille qui devient papillon (ou un gentil petit enfant qui devient en grandissant un fanatique religieux ennemi du genre humain, au choix) (et dans "genre humain", il y a "genre", alors attention double mot-clé et combo !), et pas sur des milliers de générations. Le rapport avec la théorie de l'évolution ? Aucun, en fait. Mais ça n'empêche pas les fatwahs, anathèmes et autres diatribes qui permettent d'occuper le terrain en mode "holier than thou" et qui produisent djihadistes, brûleurs de cinémas et autres poignardeurs de gay-prides.
Donc ouais, à titre personnel, je n'en ai pas grand-chose à carrer, de Pokemon Go. Ça ne me concerne pas. Mais ceux qui partent croisade contre et, une fois de plus, se mêlent des loisirs de leurs voisins, comme ils s'étaient mêlés du théâtre, du roman, du jazz, du rock ou de la bande dessinée, ils puent. Et c'est pour ça que je me retrouve à longuement défendre un truc qui ne me concerne pas plus qu'il ne les concerne eux : par équilibre karmique.
*J'avais déjà noté et explicité dans ces colonnes, je crois que c'était à l'époque de l'affaire Kerviel, la façon dont la haute finance se comporte un peu de la même façon que la physique des particules, et qu'on y manipule des sommes folles comme si cet argent existait, et qu'il arrive de temps en temps des crises financières qui nous rappellent que non.
**c'était aussi, rappelez-vous, le discours de Pétain qui rejetait sur les congés payés, et donc les loisirs de masse, toute la responsabilité de l'incurie du pays, incurie à laquelle il participait pourtant depuis des décennies. Mais les loisirs du peuple sont sales, pas ceux de l'élite. Le golf, c'est tellement moins con que Pokemon Go, pas vrai ?
Mais le phénomène actuel, forcément, m'intéresse pas mal de par son ampleur, sa nature, et surtout par les commentaires qu'il génère.
L'ampleur et l'hystérisation du phénomène s'expliquent assez par ce que j'appelle généralement le "facteur nouveau jouet", un truc auquel je suis aussi soumis que les autres : une nouveauté cool, on a tendance à bricoler dedans et à essayer de la découvrir extensivement dès lors que l'on vient de se la procurer. C'est valable pour un jeu vidéo, pour un jouet un peu riche dans ses possibilités (je me souviens encore de ma première boîte de Playmobil, ou de mes premières figurines Star Wars quand j'étais minot), ou un gadget quelconque (rappelez-vous les folies iPod, iPhone, iPad, WoW, et avant cela l'appareil photo numérique, le magnétoscope, le mixeur multifonctions ou la photocopieuse). Il y a toujours une période plus ou moins longue où l'on est complètement à fond dans le truc. Ça va mécaniquement retomber.
La nature du phénomène, à présent, est une utilisation maligne d'un truc autour duquel on tourne depuis longtemps, la "réalité augmentée", mais qui vient d'un coup de trouver une application ludique et grand public. Sur le principe, c'est hyper intéressant de voir les gens s'emparer du concept, et ça le sera encore plus quand, grâce à cette visibilité nouvelle, des concepteurs y trouveront des applications plus concrète, mais tout aussi grand public.
Et le plus intéressant, comme de juste, ce sont les réactions de ceux qui n'y comprennent rien.
Ils sont choqués de voir des adultes s'adonner à la chasse aux bestioles virtuelles (sans s'offusquer de tous les adultes qu'on voit dodeliner de la tête à Roland-Garros pour un truc encore moins passionnant qu'une retransmission d'un concert d'André Rieu).
Car forcément, selon ces bonnes âmes, "Pokemon Go" éloigne les gens du réel. Bon, toutes ces bonnes âmes seraient déjà bien en peine de nous définir le "réel", vu que la philosophie s'y casse les dents depuis deux millénaires et demi, et ceux qui en ont des définitions péremptoires ne font que mettre en exergue leur rapport ténu avec lui. La définition la plus opérative sur laquelle je sois tombé, jusqu'ici, c'est celle de Philip K. Dick : "la réalité, c'est tout ce qui ne disparaît pas au moment où l'on cesse d'y croire", et c'est celle à laquelle je me tiens depuis lors.
C'est d'autant plus intéressant que certaines de ces critiques proviennent de politiciens qui ont pratiqué le discours incantatoire visant à faire apparaître dans le réel ce qu'ils souhaitent y voir arriver, comme la reprise économique, ou un adversaire assez puissant pour faire illusion et justifier leurs crapuleries pour s'en défendre (c'est la version "Pokemon légendaire" de la méthode Coué, pour situer). Ce sont également les mêmes qu'on n'entendra jamais fustiger le manque de compréhension du réel des économistes "orthodoxes"* et qui se draperont dans le "réalisme" autoproclamé pour imposer des lubies détruisant le réel de pas mal de gens.
Les joueurs de Pokemon Go sont-ils plus déconnectés du réel que n'importe lequel de nos gouvernants ou des ténors de l'opposition ? Ecoutez n'importe quel discours de Sarkozy ou de Valls, et vous êtes en droit de vous poser la question. Et vous noterez que tous ces braves gens semblent fans du football, auquel ils consacrent un temps et des sommes démesurées. Alors je pose la question, en quoi Pokemon est-il plus déconnecté du réel, plus mercantile ou plus stupide que le foot, Roland-Garros, le Tour ou les JO ? En plus, Pokemon n'est pas encore sponsorisé par Coca Cola, et rien que ce détail suffit à me le rendre sympathique. Et les scènes de liesse collective lors de la capture d'un Pikachu me semblent créer autant de lien que celles accompagnant un but du mec dont le surnom évoque un accident minier, là.
Après, on a les critiques de haut vol. Depuis le début de la folie Pokemon canal historique, on a des fondamentalistes religieux (de toutes obédiences, notons le, parce que les cathos boutinistes, les protestants calvino-ricains rednecks à guns, les juifs à papillotes et les musulmans à barbe pas entretenue sont parfaitement d'accords les uns avec les autres, comme sur plein de trucs dès qu'il s'agit de casser les noix des gens normaux) (c'est une mafia dont les étiquettes et emballages variables ne cachent pas la profonde unité de croyance et d'action) (gotta catch'em all), qui, en dehors de l'accusation classique de temps perdu** à jouer (alors qu'il est tellement plus intéressant de s'emmerder à écouter les prêches répétitifs de gens plus déconnectés du réel et plus mal habillés encore que le joueur de Pokemon Go moyen), accusent les Pokemons de propager la croyance en la théorie de l'évolution.
Et là, c'est intéressant parce que ça met en lumière le côté très pavlovien de ces cuistres. Hop, un mot clé et ils réagissent la bave aux lèvres sans prendre le temps de réfléchir (mais même quand ils ont le temps de réfléchir, ils ne le prennent pas, vu que ce serait perdre du temps par rapport aux prêches et tout le bastringue, air connu). Comme ils ne comprennent rien à la théorie de l'évolution, forcément, ça les amène à voir des trucs là où ils ne sont pas (marrant, ce rapport au réel et au virtuel à géométrie complètement variable) et donc à voir l'expression de la "théorie de l'évolution" le fait que chaque Pokemon de base peut évoluer dans une forme plus balaise. Sauf qu'en fait, le Pokemon se transforme lui-même à la façon d'une chenille qui devient papillon (ou un gentil petit enfant qui devient en grandissant un fanatique religieux ennemi du genre humain, au choix) (et dans "genre humain", il y a "genre", alors attention double mot-clé et combo !), et pas sur des milliers de générations. Le rapport avec la théorie de l'évolution ? Aucun, en fait. Mais ça n'empêche pas les fatwahs, anathèmes et autres diatribes qui permettent d'occuper le terrain en mode "holier than thou" et qui produisent djihadistes, brûleurs de cinémas et autres poignardeurs de gay-prides.
Donc ouais, à titre personnel, je n'en ai pas grand-chose à carrer, de Pokemon Go. Ça ne me concerne pas. Mais ceux qui partent croisade contre et, une fois de plus, se mêlent des loisirs de leurs voisins, comme ils s'étaient mêlés du théâtre, du roman, du jazz, du rock ou de la bande dessinée, ils puent. Et c'est pour ça que je me retrouve à longuement défendre un truc qui ne me concerne pas plus qu'il ne les concerne eux : par équilibre karmique.
*J'avais déjà noté et explicité dans ces colonnes, je crois que c'était à l'époque de l'affaire Kerviel, la façon dont la haute finance se comporte un peu de la même façon que la physique des particules, et qu'on y manipule des sommes folles comme si cet argent existait, et qu'il arrive de temps en temps des crises financières qui nous rappellent que non.
**c'était aussi, rappelez-vous, le discours de Pétain qui rejetait sur les congés payés, et donc les loisirs de masse, toute la responsabilité de l'incurie du pays, incurie à laquelle il participait pourtant depuis des décennies. Mais les loisirs du peuple sont sales, pas ceux de l'élite. Le golf, c'est tellement moins con que Pokemon Go, pas vrai ?
Commentaires
Détail "rigolo" : la boîte qui a fait Pokémon GO avait déjà fait un jeu sur un principe similaire (Ingress) il y a quelques années mais qui n'a jamais intéressé grand monde. Il a fallu rajouter une licence connue pour que ça devienne un phénomène de société en quelques jours.
Ne pas savoir n'empêche pas ce qui arrive d'arriver mais pour ma tranquillité d'esprit, et puisque je n'y peux souvent (sinon jamais) rien savoir ne m'intéresse pas.
Faut-il que je t'aime bien pour continuer.
[-_ô]