Je suis en pleine relecture d'une traduction terminée ce ouiquende, le Neonomicon d'Alan Moore et Jacen Burrows. Il m'aura donné bien du mal, ce bouquin. Pas particulièrement parce que c'est du Alan Moore (ce n'est jamais parfaitement facile, Alan Moore, mais il a une fluidité dans l'écriture qui rend son phrasé très accessible, et sous ce rapport, il me donne généralement moins de mal, sur le plan technique, que Brian Wood ou Mark Waid), mais parce que c'est un truc ultra référentiel.
Vous allez me dire, Moore, c'est toujours ultra référentiel, et vous aurez bien raison. Mais sur Top 10, par exemple, les références étaient essentiellement super-héroïques, et par profession, je baigne dans le jus super-héroïque 8 heures par jour (non, je ne vais pas au hammam avec Peter Parker, c'est juste que j'en traduits des quantités, de super-sliperies). Du coup, de la référence à Crisis ou à Galactus, c'est pas ultra difficile à débusquer. Dans Neonomicon (et son prologue The Courtyard), outre les jeux de double-sens habituels chez Moore, on a un jeu de référence constant à l'œuvre de Lovecraft et de ses petits copains.
Là se posent plusieurs problèmes imbriqués. Restituer les références à des titres ou à des passages connus de nouvelles Lovecraftiennes, c'est bien gentil, mais à partir de quelles traductions ? Rien que sur l'Appel de Cthulhu, je crois qu'il y en a quatre différentes. Et parfois, la référence marche aussi sur des assonances, et ça implique parfois de triturer un poil le texte pour restituer l'effet.
Et donc, on repart dans un bricolage, avec une ligne directrice, mais souffrant des exceptions. La ligne directrice, c'est déjà de me référer aux traductions classiques (Papy et Gilbert, notamment, dans le cas de l'appel de Cthulhu). à cela plusieurs raisons : primo, ce sont les plus diffusées (on ne compte plus les réimpressions de l'AdC dans la traduction de Claude Gilbert), et donc, si l'on veut faire fonctionner les références, autant le faire en collant à la version la plus connue (mais je trouve la traduction de l'expression "the stars are right" plus percutante chez Papy). Qui plus est, j'avais mis le nez dans le bouquin sorti il y a quelques temps chez Bragelonne, et si la traduction y est peut-être plus précise (j'ai pas été faire un contrôle approfondi), je trouve qu'elle perd sérieusement en patine, qu'elle passe un peu à côté de l'aspect désuet du langage des précédentes, que j'associe pour ma part au plaisir de la lecture lovecraftienne. Et pour avoir aussi beaucoup lu HPL dans le texte, le côté suranné de l'écriture est une composante intrinsèque de son style (ses contemporains le lui reprochaient d'ailleurs déjà il y a près d'un siècle). Je mets à part les traductions de David Camus chez Mnémos, sur lesquelles j'ai un a-priori favorable pour plein de raisons, mais que je n'ai pas eu l'occasion d'étudier.
Mais les références vont même plus loin. La biographie d'HPL est parfois mise à contribution, et son rapport aux choses et aux gens, dont le scénario prend d'ailleurs parfois un malin plaisir à prendre le contrepied. Donc avoir deux ou trois bios du bonhomme sous la main n'est pas un luxe.
Après, parlons du bouquin lui-même. C'est dessiné par Jacen Burrows, et même si je m'habitue, j'ai toujours du mal. Avatar recrute ses dessinateurs sur des critères qui ne sont pas les miens, et même si ça raconte bien l'histoire, c'est pas exactement ma tasse de thé (j'ai aussi beaucoup de mal avec Ryp, par exemple).
L'album comprend deux récits, une adaptation d'une nouvelle de Moore, puis une mini-série que Moore a écrite pour payer ses impôts (ou ses traites) (ou je ne sais plus quoi). Dit comme ça, ce n'est pas forcément engageant, mais du coup, le scénario va très efficacement à l'essentiel. Ça évoquerait presque du Warren Ellis, à la limite.
Et sur le fond, c'est vraiment brillant. Moore règle ses comptes avec Lovecraft, et ce qui est intéressant, c'est que le compte est débiteur d'un côté et créditeur de l'autre. Débiteur parce que Moore reconnait la dette que tout l'imaginaire fantastico-occulte a envers HPL. Même Watchmen, dans son final, a un moment purement Lovecraftien associant rêves, monstre indicible et folie. Créditeur parce que Moore ne fait pas l'impasse sur tous les aspects déplaisants du personnage : racisme, rapport névrotique à la sexualité, et qu'il a des façons astucieuses de l'intégrer au récit pour solder l'ardoise.
Et le concept que développe Moore pour expliquer l'invasion des monstres lovecraftiens dans un monde ou a existé une littérature lovecraftienne de fiction est tout à fait brillant. Il contredit assez les concepts que j'avais développés ici, mais force est de reconnaitre que c'est très malin, prenant ses concepts pourtant habituels d'ideaspace par un bout un peu inédit.
Chouette BD, donc, que les amateurs de Lovecraft (un peu avertis, quand même. Certaines scènes sont très, très explicites. et pas que dans le domaine tentaculeux) auront plaisir à lire. Et puis faut la lire, ouais, histoire que mes prises de tête et autres migraines sur la trad n'aient pas été en vain (j'en ai fait des cauchemars en cour de route, des trucs avec des bouquins étranges, des alignements d'étoiles brillant d'une lumière pas normale, des fonds marins et un accident de bagnole) (pas plaisant, quoi, les rêves, pour le coup).
Ça sortira en octobre chez Urban. Voilà, vous êtes prévenus !
Vous allez me dire, Moore, c'est toujours ultra référentiel, et vous aurez bien raison. Mais sur Top 10, par exemple, les références étaient essentiellement super-héroïques, et par profession, je baigne dans le jus super-héroïque 8 heures par jour (non, je ne vais pas au hammam avec Peter Parker, c'est juste que j'en traduits des quantités, de super-sliperies). Du coup, de la référence à Crisis ou à Galactus, c'est pas ultra difficile à débusquer. Dans Neonomicon (et son prologue The Courtyard), outre les jeux de double-sens habituels chez Moore, on a un jeu de référence constant à l'œuvre de Lovecraft et de ses petits copains.
Là se posent plusieurs problèmes imbriqués. Restituer les références à des titres ou à des passages connus de nouvelles Lovecraftiennes, c'est bien gentil, mais à partir de quelles traductions ? Rien que sur l'Appel de Cthulhu, je crois qu'il y en a quatre différentes. Et parfois, la référence marche aussi sur des assonances, et ça implique parfois de triturer un poil le texte pour restituer l'effet.
Et donc, on repart dans un bricolage, avec une ligne directrice, mais souffrant des exceptions. La ligne directrice, c'est déjà de me référer aux traductions classiques (Papy et Gilbert, notamment, dans le cas de l'appel de Cthulhu). à cela plusieurs raisons : primo, ce sont les plus diffusées (on ne compte plus les réimpressions de l'AdC dans la traduction de Claude Gilbert), et donc, si l'on veut faire fonctionner les références, autant le faire en collant à la version la plus connue (mais je trouve la traduction de l'expression "the stars are right" plus percutante chez Papy). Qui plus est, j'avais mis le nez dans le bouquin sorti il y a quelques temps chez Bragelonne, et si la traduction y est peut-être plus précise (j'ai pas été faire un contrôle approfondi), je trouve qu'elle perd sérieusement en patine, qu'elle passe un peu à côté de l'aspect désuet du langage des précédentes, que j'associe pour ma part au plaisir de la lecture lovecraftienne. Et pour avoir aussi beaucoup lu HPL dans le texte, le côté suranné de l'écriture est une composante intrinsèque de son style (ses contemporains le lui reprochaient d'ailleurs déjà il y a près d'un siècle). Je mets à part les traductions de David Camus chez Mnémos, sur lesquelles j'ai un a-priori favorable pour plein de raisons, mais que je n'ai pas eu l'occasion d'étudier.
Mais les références vont même plus loin. La biographie d'HPL est parfois mise à contribution, et son rapport aux choses et aux gens, dont le scénario prend d'ailleurs parfois un malin plaisir à prendre le contrepied. Donc avoir deux ou trois bios du bonhomme sous la main n'est pas un luxe.
Après, parlons du bouquin lui-même. C'est dessiné par Jacen Burrows, et même si je m'habitue, j'ai toujours du mal. Avatar recrute ses dessinateurs sur des critères qui ne sont pas les miens, et même si ça raconte bien l'histoire, c'est pas exactement ma tasse de thé (j'ai aussi beaucoup de mal avec Ryp, par exemple).
L'album comprend deux récits, une adaptation d'une nouvelle de Moore, puis une mini-série que Moore a écrite pour payer ses impôts (ou ses traites) (ou je ne sais plus quoi). Dit comme ça, ce n'est pas forcément engageant, mais du coup, le scénario va très efficacement à l'essentiel. Ça évoquerait presque du Warren Ellis, à la limite.
Et sur le fond, c'est vraiment brillant. Moore règle ses comptes avec Lovecraft, et ce qui est intéressant, c'est que le compte est débiteur d'un côté et créditeur de l'autre. Débiteur parce que Moore reconnait la dette que tout l'imaginaire fantastico-occulte a envers HPL. Même Watchmen, dans son final, a un moment purement Lovecraftien associant rêves, monstre indicible et folie. Créditeur parce que Moore ne fait pas l'impasse sur tous les aspects déplaisants du personnage : racisme, rapport névrotique à la sexualité, et qu'il a des façons astucieuses de l'intégrer au récit pour solder l'ardoise.
Et le concept que développe Moore pour expliquer l'invasion des monstres lovecraftiens dans un monde ou a existé une littérature lovecraftienne de fiction est tout à fait brillant. Il contredit assez les concepts que j'avais développés ici, mais force est de reconnaitre que c'est très malin, prenant ses concepts pourtant habituels d'ideaspace par un bout un peu inédit.
Chouette BD, donc, que les amateurs de Lovecraft (un peu avertis, quand même. Certaines scènes sont très, très explicites. et pas que dans le domaine tentaculeux) auront plaisir à lire. Et puis faut la lire, ouais, histoire que mes prises de tête et autres migraines sur la trad n'aient pas été en vain (j'en ai fait des cauchemars en cour de route, des trucs avec des bouquins étranges, des alignements d'étoiles brillant d'une lumière pas normale, des fonds marins et un accident de bagnole) (pas plaisant, quoi, les rêves, pour le coup).
Ça sortira en octobre chez Urban. Voilà, vous êtes prévenus !
Commentaires
*commence à économiser pour la sortie en octobre*