Accéder au contenu principal

Avec le temps...

 En termes de comics, j'ai mes périodes où je me relis compulsivement des vieilleries, soit que je veuille me refaire une période d'un bloc (il y a des trucs que j'ai lus dans le désordre au fil de rééditions erratiques et que je veux reprendre dans l'ordre) soit que je veuilles me replonger dans l'oeuvre de tel ou tel auteur, ou dans le passé de tel ou tel personnage.


Tout récemment, je me suis replongé ainsi dans Hulk et dans Daredevil.

Pour Hulk, le déclencheur c'est que je suis en train de compléter les épisodes récents d'Al Ewing, qui valent en effet tout le bien qu'on m'en a dit. Comme ils sont très référentiels, je me suis replongé dans des périodes de la série sur lesquelles il s'appuyait, dont celle, mythique, de Peter David, dont j'ai relu le premier tiers dans la foulée. Ça m'a également donné envie de relire la grosse saga de Bruce Jones (ce sera bientôt, je pense). Et par un coup du hasard, je suis tombé chez un bouquiniste sur l'Essential reprenant les épisodes d'origine dans les années 60, dont je ne connaissais qu'une toute petite partie picorée dans des Strange Spécial Origines ou des pockets Aredit. Ce qui m'a permis de découvrir à quel point Lee et Kirby, puis Ditko, naviguaient à vue. On a déjà toutes les variations de couleur et de personnalité du personnage, parce que personne ne semble encore en détenir la formule. Le seul fil conducteur, c'est le répétitif "oh, Banner a encore disparu, si ça se trouve, il fricote avec les COMMUNISTES !"

Autant dire qu'on n'est pas dans l'inventivité de Thor ou des FF de la même époque (et parfois, Kirby n'assure que des esquisses très rapides, et le résultat dépend donc de dessinateurs qui passent derrière et qu'on qualifiera charitablement de moins doués). Notons aussi que c'est un personnage introduit très tôt, juste un an après la relance Marvel de 61, et quelques mois après Ant-Man (encore un concept qui a eu du mal à s'imposer et à se préciser en son temps).

Derrière, du coup, j'ai aussi remis le nez dans le Hulk : Grey de Loeb et Sale, qui revient sur cette période en resserrant les boulons. Franchement, c'est une lecture très agréable.

 

On se rend compte en tout cas, en s'enfilant une douzaine d'années de publications comme ça, de la difficulté qu'il y a à écrire Hulk pour ses auteurs. Il n'y a pas de formule solide vers laquelle revenir pour bâtir un run d'exception. Hulk dans le désert qui défonce des tanks, c'est la matière de deux épisodes décomplexés (c'est ce que fait d'ailleurs Garth Ennis quand il tâte du personnage, avec un twist astucieux) Mais faire avancer le concept, ça demande de le secouer par tous les bouts. C'est ce qu'a fait Peter David, c'est ce qu'a fait récemment Al Ewing, c'est ce qu'a fait Mark Waid il y a déjà quelques temps (dans un run curieusement mésestimé mais pourtant riche de bonnes idées) et c'est ce qu'a fait Greg Pak pendant un certain temps, avec un certain brio qui lui permettait de se renouveler régulièrement.

J'avoue que pour ma part, si j'étais amené à écrire Hulk, je serais sans doute bien emmerdé.

Et puis là, je me suis relu aussi un gros paquet de Daredevil. Une réédition récente aux US met enfin à disposition la période jamais compilée auparavant qui, au milieu des années 80, sépare la fin du fabuleux Born Again de l'arrivée de John Romita Jr. je n'en avais eu que quelques épisodes entre les pattes, jusque là. Et c'est passionnant, parce qu'on voit bien que personne ne sait plus quoi faire du personnage. Puis la scénariste Ann Nocenti commence à poser ses pions et à tout remettre en route. J'ai écrit un article récemment sur le sujet, je pense qu'il sortira bientôt chez Bruce Lit.

 

Cette relecture suit celle d'une autre compile du même genre, celle des épisodes de Karl Kesel et Cary Nord, au milieu des années 90. Problème inverse, il s'agit de solder la pénible période Dan Chichester sur le personnage, qui le voit se perdre dans un truc confus de fausse identité, d'armure, de hi-tech et d'espionnage. Nord est parfois maladroit, mais souvent élégant, et le scénario tente de réactiver le style "vaudeville procédural" de la période Stan Lee (démarche que reprendra Waid, encore lui, dans son très bon run d'il y a déjà une petite dizaine d'années). Pareil, je n'avais lu de cette période que des épisodes en vrac. Faudra que je chope le recueil suivant, qui clôt la première série consacrée à DD.

Dans la foulée, j'ai remis le nez dans le début de la série suivante, lorsque Marvel est au fond du gouffre et file à Joe Quesada un label pour développer tous les personnages dont on ne sait plus quoi faire. Daredevil va être la figure de proue de cette renaissance qui sauvera la boîte. Je n'avais pas relu depuis un bail les épisodes écrits par Kevin Smith, qui s'abaisse parfois à des facilités d'écriture, mais force est de reconnaître qu'il secoue bien le truc et relance le personnage pour longtemps, préparant le terrain à Bendis et à ses continuateurs (j'ai relu la période Bendis-Brubaker l'an passé et ça tient encore pas mal). Les épisodes suivants, écrits par David Mack, introduisent une nouvelle adversaire, Echo, qui fait un peu redite puisqu'on y retrouve par morceaux Elektra et Typhoid Mary. Mais la construction en miroir est habile et le développement du personnage bien pensé.

Et puis là, chboum là-d'dans. Une prise de conscience assez terrible. Il y a autant de distance entre ces épisodes de Smith et Mack, publiés il y a un poil plus de vingt ans, et ceux de Frank Miller, qu'entre Miller et le début de la série. Et autant de distance entre Smith et Miller qu'entre Smith et aujourd'hui.

Le temps passe. Les pages et aventures s'accumulent. Les auteurs vont et viennent. Les héros demeurent.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Dans la vallée, oho, de l'IA

 J'en avais déjà parlé ici , le contenu généré par IA (ou pour mieux dire, par LLM) envahit tout. Je bloque à vue des dizaines de chaînes par semaine pour ne pas polluer mes recommandations, mais il en pope tous les jours, avec du contenu de très basse qualité, fabriqué à la chaîne pour causer histoire ou science ou cinéma avec des textes assez nuls et des images collées au petit bonheur la chance, pour lequel je ne veux pas utiliser de bande passante ni perdre mon temps.   Ça me permet de faire un tri, d'avoir des vidéos d'assez bonne qualité. J'y tiens, depuis des années c'est ce qui remplace la télé pour moi. Le problème, c'est que tout le monde ne voit pas le problème. Plein de gens consomment ça parce que ça leur suffit, visiblement. Je suis lancé dans cette réflexion en prenant un train de banlieue ce matin. Un vieux regardait une vidéo de ce genre sans écouteurs (ça aussi, ça m'agace) et du coup, comme il était à deux places de moi, j'ai pu en ...

L’image de Cthulhu

J'exhume à nouveau un vieil article, celui-ci était destiné au petit livret de bonus accompagnant le tirage de tête de Celui qui écrivait dans les ténèbres , mon album consacré à H.P. Lovecraft. Ça recoupe pas mal de trucs que j'ai pu dire dans d'autres articles, publiés dans des anthologies ou des revues, mais aussi lors de tables rondes en festival ou en colloque (encore cet hiver à Poitiers). J'ai pas l'impression que ce texte ait été retenu pour le livret et du coup je crois qu'il est resté inédit. Ou alors c'est que je l'avais prévu pour un autre support, mais dans ce cas, je ne me souviens plus duquel. Tant pis, ça date d'il y a sept ou huit ans...   L’œuvre d’H.P. Lovecraft a inspiré depuis longtemps des auteurs de bandes dessinées. D’ailleurs, l’existence de nombreuses passerelles entre l’univers des pulps (où a officié Lovecraft) et celui des comic books n’est plus à démontrer, ces derniers empruntant une large part de leurs thèmes aux revue...

En avant, marche !

Ça faisait longtemps, non, les homélies du dimanche ? Faut dire que j'ai enchaîné des gros trucs depuis septembre. Vous avez déjà vu un des résultats avec le bouquin sur Tolkien, mais d'autres choses vont arriver. Bref, je remettais le nez dans les vieux textes, parce que ça fait pas de mal, des fois, quand on est surmené et que j'écoute aussi les conférences du Collège de France sur l'exégèse biblique et tout ça. C'est le genre de trucs qui me requinquent quand je fais une pause. Et forcément, ça remet en route le ciboulot. Les rouages grincent au début, mais...  Vous vous rappelez peut-être de ma vieille réflexion sur  le Dieu qui "se promenait dans le jardin au souffle du jour" , il y a déjà... pfou, trop longtemps. un petit Edmund Dulac, parce que bon c'est toujours bien, Dulac   J'aime bien cette image de la Genèse, avec son petit côté presque bucolique et très incarné, les restes d'une vision moins abstraite et moins cosmique de Dieu, une...

Corps ben

 À intervalles réguliers, je me retrouve à bosser sur Corben. J'avais traduit les deux Monde mutant (avec un pincement au coeur : un endroit du même nom, mais au pluriel, était ma librairie de comics préférée, du temps de ma jeunesse folle), puis Murky World , un récit supplémentaire pour Esprit des morts , son recueil inspiré d'Edgar Poe (il avait raison d'aller piocher là-dedans, je l'ai toujours dit, c'est dans le vieux Poe qu'on fait la meilleure... mais je m'égare).   Beaucoup plus récemment, j'ai fait le tome 3 de Den, Les enfants du feu , dont l'édition collector vient de sortir de presses et l'édition courante sera en librairie à la rentrée. Un peu plus tard, il y aura Dimwood , son tout dernier récit, achevé peu de temps avant sa mort. Je recommande assez, c'est complètement chelou, Dimwood . Alors, Corben, vous allez me dire, c'est chelou. Et vous aurez raison. Il y a toujours chez lui un caractère grotesque, boursouflé, quand l...

Le nouveau Eastern

 Dans mon rêve de cette nuit, je suis invité dans une espèce de festival des arts à Split, en Croatie. Je retrouve des copains, des cousins, j'y suis avec certains de mes rejetons, l'ambiance est bonne. Le soir, banquets pantagruéliques dans un hôtel/palais labyrinthique aux magnifiques jardins. Des verres d'alcools locaux et approximatifs à la main, les gens déambulent sur les terrasses. Puis un pote me fait "mate, mec, c'est CLINT, va lui parler putain !"   Je vais me présenter, donc, au vieux Clint Eastwood, avec un entourage de proches à lui. Il se montre bienveillant, je lui cause vaguement de mon travail, puis je me lance : c'est ici, en Dalmatie, qu'il doit tourner son prochain western. Je lui vante les paysage désolés, les déserts laissés derrière eux par les Vénitiens en quête de bois d'ouvrage, les montagnes de caillasse et les buissons rabougris qui ont déjà servi à toutes sortes de productions de ce genre qui étaient tellement fauchées ...

Ressortie

 Les éditions Delcourt ressortent Torso , un des premiers gros projets de Brian M. Bendis, avant qu'il ne devienne une star suite à ses travaux chez Marvel, Daredevil et Alias en tête, puis ne se crame les ailes à devenir grand manitou des Avengers et des X-Men . Bendis est très bon dans un domaine, celui du polar à échelle humaine, et beaucoup moins dans les grandes conflagrations super-héroïques. Torso , ça relève de la première catégorie. Je pense que c'est justement le genre de bouquin qui a conduit Joe Quesada à lui confier Daredevil , d'ailleurs, c'est là que l'auteur s'impose aux yeux de tous. Le sujet est chouette, déjà : une des premières grosses affaires de tueurs en série en Amérique, le tueur aux Torses (ou Boucher de Cleveland , dans la version romancée par Max Allan Collins, auteur dont j'ai déjà parlé dans le coin). Particularité, au moment des sinistres exploits du tueur, la sécurité publique de la ville vient d'être confiée au célèbre...

Fais tourner le juin

Bon, il est temps que je sorte un peu de mon bunker. Ça tombe bien, je suis invité à deux événements que je connais. Le samedi 31 mai et le dimanche 1er juin, je serai au Geek Up Festival des Clayes sous Bois (78). C'est dans un part, y a des animations, d'autres auteurs, j'aurai un peu de stock de mes bouquins chez les Moutons électriques, et normalement y aura des exemplaires du Pop Icons Tolkien.  Le dimanche 15 juin après-midi, je serai au Salon des auteurs du coin, à la péniche Story Boat de Conflans Ste Honorine (78). Super cadre, c'est très cosy et ça vaut le coup de passer même en coup de vent parce qu'il y a de belles balades à faire aux alentours. Voilà, c'est tout pour l'instant, je sais pas encore trop comment ça va se passer pour la suite, mes prochaines dates sont en octobre, à Marmande et à Limoges. Je vous tiens au courant d'ici là.

Le slip en peau de bête

On sait bien qu’en vrai, le barbare de bande dessinées n’a jamais existé, que ceux qui sont entrés dans l’histoire à la fin de l’Antiquité Tardive étaient romanisés jusqu’aux oreilles, et que la notion de barbare, quoiqu’il en soit, n’a rien à voir avec la brutalité ou les fourrures, mais avec le fait de parler une langue étrangère. Pour les grecs, le barbare, c’est celui qui s’exprime par borborygmes.  Et chez eux, d’ailleurs, le barbare d’anthologie, c’est le Perse. Et n’en déplaise à Frank Miller et Zack Snyder, ce qui les choque le plus, c’est le port du pantalon pour aller combattre, comme nous le rappelle Hérodote : « Ils furent, à notre connaissance, les premiers des Grecs à charger l'ennemi à la course, les premiers aussi à ne pas trembler d’effroi à la vue du costume mède ». Et quand on fait le tour des autres peuplades antiques, dès qu’on s’éloigne de la Méditerranée, les barbares se baladent souvent en falzar. Gaulois, germains, huns, tous portent des braies. Ou alo...

Nébulosités

 Ah, que je n'aime pas le cloud. Vraiment pas. Vous allez me dire, je suis un vieux encroûté dans ses petites habitudes de travail, ses sauvegardes à droite et à gauche, ses fichiers à portée de la main comme le tas d'or d'un dragon. Fondamentalement, c'est un portrait assez exact. Mais... Mais j'ai eu suffisamment de soucis de connexion pour être méfiant.   Et puis, y a les éditeurs qui bossent avec des ayants droits chiants. Ce qui fait que les documents de travail se retrouvent verrouillés sur des serveurs auxquels ont vous ouvre l'accès pour pouvoir bosser dessus. Et là, bien entendu, j'avais une très grosse traduction traitée comme ça. Je demande si on peut quand même m'envoyer une copie du pdf, histoire d'avoir un truc "en dur", et ça n'a pas été possible. Le document est ultra protégé. Et, ce matin, alors que le café finit de couler, j'ouvre le truc... Qui m'annonce que l'autorisation a expiré. Oui, apparemment il fal...

L'iron Man de la Cannebière ?

 Dans mon rêve de cette nuit, j'étais en train de participer au tournage d'un film de guerre/catastrophe. Je faisais partie de l'équipage d'un véhicule blindé , bardé de mitrailleuses, opérant sur une côte. On était en ville, zigzaguant entre les voitures du quai, aux aguets. L'ambiance était vaguement post-nucléaire, les conducteurs avaient des gueules d'irradiés ou d'intervenants sur C-News, c'était moche en tout cas, ça puait la dégénérescence à plein nez. "Ça risque encore de péter" nous dit le lieutenant, joué par Matthew McConaughey. Inquiet, je regarde autour de moi, on est sur une voie des quais et soudain je vous l'eau enfler. Quelqu'un a déclenché un tsunami, peut-être à l'aide d'une bombe sous-marine. "Accrochez-vous, il va nous tomber dessus!" je hurle en me disant que ça va être la fin du film et qu'on aura droit à un freeze-frame juste avant que l'eau ne s'abatte sur nous, vaillants soldats al...