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Cent fois sur le métier…

La temporalité de l'édition a quelque chose d'étrange, un peu comme quand on téléphone à Singapour ou Valparaiso : il y a des décalages. La différence avec les coups de fils trans-océaniques, c'est que ces décalages ont quelque chose d'imprévisible.

Quelques exemples en vrac : mon 2 frères à Hollywood qui sort l'été prochain est bouclé au niveau scénar depuis des années, et au niveau dessin depuis plus d'un an. Plein de considérations éditoriales font qu'il est resté au frigo pendant un bail (et il y a là-dedans tout un tas de bonnes raisons, qui vont d'un changement de diffuseur à des anniversaires amenant à faire passer d'autres bouquins en priorité sur le planning, toutes choses que j'ai approuvées). Quand ils sortiront, mes 3 Coracles seront terminés depuis un an pile. Le premier jet en tout cas. Que j'ai copieusement remanié pendant plus de six mois. Et ensuite, il faut tout le travail de maquette, de relecture éditeur, de mise en place, de fabrication.

Mais tout cela relève de circonstances plutôt techniques. Ce week-end, je me suis confronté à un décalage bien plus grand. Il y a quinze ans, j'entamais le travail sur un scénario d'espionnage basé sur des faits historiques (mais repris à ma sauce). L'affaire nécessitait beaucoup de recherches et pour plein de raisons (l'éditeur apparemment intéressé au début qui m'a planté, puis un dessinateur qui n'a livré une page et puis s'est désintéressé du projet) je n'ai bouclé la première version que cinq ans plus tard. Il y a dix ans, donc. Et, de loin en loin, je le ressortais du placard et bricolais dedans. J'ai plein de scénars comme ça, achevés, prêts à servir, mais qui dorment pour plein de raisons.

Et puis, il y a quelques temps, une discussion avec un copain dessinateur et un éditeur a relancé l'affaire. J'ai profondément remanié mon histoire pour la faire rentrer dans un nouveau format, ce qui me permettait accessoirement de l'étoffer, d'y ajouter des séquences où l'on voyait les personnages vivre un peu. Ma première version était trop sèche, comme pas mal de trucs que j'avais écrit dans la première moitié des années 2000.

Sauf que le dessinateur avait d'abord un autre projet à boucler. Un très gros. Donc j'avais le temps de rebosser mon script. Et là, le gars repasse sur Paris, on se pose dans un café, on met en place un planning et je lui dis "bon, j'ai changé des trucs, je t'envoie dans la semaine la nouvelle version". Rien que de bien classique à ce stade. Et je remets le nez dans mes dossiers.

Et là, première surprise, je découvre que je n'avais pas retouché au truc depuis plus d'un an et demi, donc à l'époque où j'avais discuté des nouvelles scènes avec l'éditeur (qui m'avait d'ailleurs proposé deux idées très marrantes pour l'une d'entre elles). Et que les travaux étaient en fait bien plus importants que dans mon souvenir. J'ai mis en place tout ça, j'ai commencé à écrire les scènes… Et puis un autre truc a dû me tomber dessus, et j'ai tout laissé en plan. C'est un putain de chantier, un gruyère, un merdier. Alors que dans ma tête, le truc était à peu près bouclé et ne demandait que des réglages mineurs avant d'être renvoyé au dessinateur. Accessoirement, les modifications ont généré une incohérence chronologique qu'il va me falloir corriger.

C'est là la faille de mon mode de travail, de l'espèce de productivité délirante que je m'impose (ou que le tonneau des Danaïdes qui me sert de compte en banque m'impose, faites donc des gosses), il y a forcément des trucs qui disparaissent dans le décor comme ça. Je parlais de mon mode d'archivage il y a quelques semaines, je sens que je vais remettre le nez dedans, histoire de voir si d'autres bouquins n'ont pas sombré corps et âme de cette façon…

Commentaires

Bflow a dit…
Penser à s'auto-archiver, ne pas s'automomifier, et ressortir des fagots mais pour qui, que, quoi faire et ne pas, espace temporellement a réjoncter, penser au futur tout en décomposant le présent pas à pas et mince on nous prend au dépourvu, on ne pensait qu'à Snowden mais Blair witchement, il s'agissait d'un tout autre documentaire, et on a souvent préfère la fiction donc une autre version, pour un samedi soir "anime" mettant en jeu le futur immédiat ou l'une de ses multiples autres possibilités, ou l'on arrive pas, toujours pas, à conjuguer le passé vers la tentative d'archivage https://youtu.be/BcHtAk0O55I

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