Accéder au contenu principal

Désert


Non, ce titre n'a pas grand rapport avec les rues, en ces temps d'incertitude. C'est celui d'une de mes toutes premières nouvelles achevées, un truc qui se voulait vaguement (très vaguement) lovecraftien. Je travaillais plus les ambiances que le fond, à l'époque, et je ne suis même pas sûr que ça ait tellement changé, en fait. C'est resté inédit depuis lors. Bon, plutôt que de le laisser trainer dans mes tiroirs, hein…




Désert

Ce soir, je tente à nouveau de faire le point avec le petit octant que m’a laissé Michaelson. Je manque terriblement de pratique et j’ai les mains qui tremblent, alors je recommence deux fois. Debout au milieu de l’étendue de sable blanc, je fixe les étoiles avec le petit instrument de cuivre. Puis je note mes résultats avant de les comparer aux éphémérides. J’inscris encore une série de chiffres, plus proche aujourd’hui de ce nombre idéal que je m’efforce d’obtenir depuis des jours.

Tellement plus proche…

Au matin, quand le soleil n’a pas encore franchi la ligne d’horizon mais que sa lumière se répand déjà sur les dunes, quand les scorpions osent encore s’aventurer hors de leurs cachettes, je reprends ma route. Cinq jours déjà que les autres m’ont abandonné. Cinq jours que je suis seul avec ce dromadaire chargé de vivres. Les guides ne voulaient pas s’aventurer plus loin, ces terres sont maudites, disaient-ils. Et sans guide, Michaelson et Brükner n’ont pas voulu continuer. Ils ont préféré repartir alors vers la civilisation…

Je pouvais me passer du guide, comme je me passe de la carte. Que faire de ce papier uniformément blanc, à la monotonie uniquement rompue par un lâche quadrillage ? Aucun cartographe n’est jamais venu ici. Et de toute façon il n’y a rien à cartographier. Juste une étendue blanche. Et elle, elle n’a même pas de quadrillage pour l’égayer.

Le soleil se lève. Déjà le sable se réchauffe sous mes pieds. Je porte la gourde à mes lèvres et j’en bois quelques gorgées. Autour de moi, le désert est toujours égal à lui même : rangées de dunes, vagues d’un océan de sable dont la houle ondule au rythme de l’éternité. Je continue d’avancer vers l’Est, face à un soleil brûlant. Même mes lunettes fumées ne parviennent pas à m’en protéger, et je marche les yeux mi-clos, comme un somnambule. Nul ne peut contempler sa splendeur face à face, il est comme un dieu antique.

Que dis-je ! Il EST le Dieu antique, la puissance absolue des anciens. Et j’avance vers lui, vers sa cité sainte défendue par ses flammes.

Midi. Le soleil est au zénith, inondant le désert d’une lumière qui ne tolère plus aucune ombre. J’étends un dais au dessus du dromadaire, puis je m’assois à ses côtés. Le repas est frugal, une boite de haricots que je ne me donne même pas la peine de faire réchauffer. Il suffirait pourtant de la poser sur le sable, à quelques mètres, et d’attendre une dizaine de minutes… Je mange sans faim, de toute façon. Je mange surtout pour calmer une soif que l’eau n’arrive plus à étancher.

Puis je dors, jusqu’au milieu de l’après-midi. Mon chronomètre m’indique qu’il est cinq heures quand je reprend la route. Le soleil est quelque peu descendu, et je vois mon ombre, devant moi, pointant le chemin comme le doigt de Dieu m’ordonnant de continuer.

La nuit, à nouveau. Je fais le point à la lumière des étoiles. Et elles m’indiquent que je me rapproche de la cité. Que je touche au but. Que j’y suis presque.

Avant l’aube, je repars pour profiter des derniers instants de fraîcheur, avançant toujours dans ce labyrinthe aux murs faits de vent.

C’est en milieu de matinée que je trouve la première trace tangible de la cité, la preuve de son existence que mes collègues de la société de géographie m’ont toujours réclamée : une stèle de pierre mate, gravée de ces signes érodés et indéchiffrables qui me sont si familiers. Elle est là, plantée de guingois dans le sable blanc, à demi recouverte. Depuis combien de temps attend-elle le voyageur pour lui indiquer le chemin ? Depuis la fin de l’âge du bronze ? Depuis l’invasion des peuples du fer ? Comment savoir tant que je n’aurais pas trouvé la pierre de Rosette de ce langage ancien ?

Je la laisse derrière moi, confiant. La cité est cachée par une de ces dunes, à portée de la main.

L’après midi est bien avancée quand je trouve une deuxième pierre dressée, assez semblable à la première. Elle est moins abîmée, les tempêtes de sable ont l’air de l’avoir épargnée. Peut-être aussi est-elle un peu moins ancienne…

Les stèles se font plus nombreuses à mesure que j’avance. Ce sont toutes les demi-heures que j’en trouve sur ma route, parfois groupées par deux ou trois. Je décide enfin de m’arrêter, de passer la nuit au pied de l’une d’entre elles à la gravure plus fine.

Une surprise m’attend à mon réveil. Dans l’obscurité de la nuit, je n’avais pas vu que devant moi s’étendait un véritable champ de stèles gravées. On dirait presque un cimetière envahi par les sables et l’impression est renforcée par le hululement lugubre du vent qui siffle entre elles.

Je traverse avec précautions ce champ funèbre et je finis par arriver au sommet d’une crête.

Elle est là, s’étendant devant moi, au fond de la vallée : la cité du soleil. Ses toits blancs scintillent d’une façon aveuglante. Je descend en courant, évitant les stèles qui garnissent la pente, puis je finis par trébucher, auprès d’une stèle à la surface profondément érodée.

Quand je me relève, c’est pour me trouver nez à nez avec un bédouin au burnou brodé d’un motif pas si différent de celui des pierres dressées qui m’entourent. Il brandit d’une façon menaçante son bâton de marche et pousse un cri d’alarme auquel répond celui d’une corne, venant de la cité.

Puis il me frappe au ventre, du bout de son bâton, me forçant à retomber à genoux. Le souffle coupé, je subis une volée de coups, jusqu’à ce que d’autres bédouins m’entourent et m’examinent. L’un d’entre eux tient un chameau par la longe, portant une stèle dépourvue d’inscriptions.

Sur un ordre rauque d’un bédouin au costume plus ouvragé que les autres, le déluge de coup reprend, venant maintenant de tous les côtés.

Juste avant de sombrer, je vois le chamelier décharger sa bête et déposer la stèle neuve.

Puis ce sont les ténèbres.

Commentaires

Tororo a dit…
Ftaghn alors.
On a du mal à imaginer que ça puisse finir bien (je n'ai pu m'empêcher de penser à une nouvelle de Camus, Le rénégat ou un esprit confus et à sa conclusion pas franchement guillerette: "... une poignée de sel emplit la bouche de l'esclave bavard").
Alex Nikolavitch a dit…
Je connaissais le proverbe (vu je ne sais où, peut-être dans un Corto, mais je ne suis pas sûr)
"Il ne sort pas un mot d'une bouche emplie de terre"

Posts les plus consultés de ce blog

Défense d'afficher

 J'ai jamais été tellement lecteur des Defenders de Marvel. Je ne sais pas trop pourquoi, d'ailleurs. J'aime bien une partie des personnages, au premier chef Hulk, dont je cause souvent ici, ou Doctor Strange, mais... mais ça s'est pas trouvé comme ça. On peut pas tout lire non plus. Et puis le concept, plus jeune, m'avait semblé assez fumeux. De fait, j'ai toujours plus apprécié les Fantastic Four ou les X-Men, la réunion des personnages ayant quelque chose de moins artificiel que des groupes fourre-tout comme les Avengers, la JLA ou surtout les Defenders.   Pourtant, divers potes lecteurs de comics m'avaient dit aimer le côté foutraque du titre, à sa grande époque.   Pourtant, ces derniers temps, je me suis aperçu que j'avais quelques trucs dans mes étagères, et puis j'ai pris un album plus récent, et je m'aperçois que tout ça se lit ou se relit sans déplaisir, que c'est quand même assez sympa et bourré d'idées.   Last Defenders , de J

Nettoyage de printemps

 Il y a plein de moyens de buter sur un obstacle lorsqu'on écrit. Parfois, on ne sait pas comment continuer, on a l'impression de s'être foutu dans une impasse. C'est à cause de problèmes du genre qu'il m'arrive d'écrire dans le désordre : si je cale à un endroit, je reprends le récit plus tard, sur un événement dont je sais qu'il doit arriver, ce qui me permet de solidifier la suite, puis de revenir en arrière et de corriger les passages problématiques jusqu'à créer le pont manquant.  D'autres tiennent à des mauvais choix antérieurs. Là, il faut aussi repartir en arrière, virer ce qui cloche, replâtrer puis repartir de l'avant. Souvent, ça ne tient qu'à quelques paragraphes. Il s'agit de supprimer l'élément litigieux et de trouver par quoi le remplacer qui ne représente pas une contrainte pour le reste du récit. Pas praticable tout le temps, ceci dit : j'en parlais dernièrement, mais dès lors qu'on est dans le cadre d'

Perceval sort du bois

 C'est fin mai que sortira Le garçon avait grandi en un gast pays , mon prochain roman aux Moutons électriques . Les plus attentifs d'entre vous, en voyant ce titre alittérant et à rallonge, se doutent qu'il fait suite à Trois coracles cinglaient vers le couchant et à L'ancelot avançait en armes . Le premier tome était sorti il y a cinq ans, quand même, ça ne nous rajeunit pas. Cette sortie ira de pair avec une réimpression des deux autres. L'ancelot bénéficiera d'une nouvelle couverture, toujours par l'excellent Melchior Ascaride, qui s'y entend à emballer mes bouquins comme ceux des collègues. Comme vous vous en doutez aussi, je termine avec Perceval, personnage fascinant (je lui avais déjà consacré un petit récit dans un pocket de chez Semic, y a plus de vingt ans) mais sans doute le plus difficile à manier de tout le bestiaire arthurien. Le résumé : Élevé à l’abri des tourments et d’un monde violent, le jeune Perceval tient pourtant à le découvr

Le Messie de Dune saga l'autre

Hop, suite de l'article de l'autre jour sur Dune. Là encore, j'ai un petit peu remanié l'article original publié il y a trois ans. Je ne sais pas si vous avez vu l'argumentaire des "interquelles" (oui, c'est le terme qu'ils emploient) de Kevin J. En Personne, l'Attila de la littérature science-fictive. Il y a un proverbe qui parle de nains juchés sur les épaules de géants, mais l'expression implique que les nains voient plus loin, du coup, que les géants sur lesquels ils se juchent. Alors que Kevin J., non. Il monte sur les épaules d'un géant, mais ce n'est pas pour regarder plus loin, c'est pour regarder par terre. C'est triste, je trouve. Donc, voyons l'argumentaire de Paul le Prophète, l'histoire secrète entre Dune et le Messie de Dune. Et l'argumentaire pose cette question taraudante : dans Dune, Paul est un jeune et gentil idéaliste qui combat des méchants affreux. Dans Le Messie de Dune, il est d

Pourri Road

Un peu hypé par le prequel à venir de Mad Max : Fury Road, consacré à la jeunesse de Furiosa. Après avoir fait de son héros un spectateur des choses, presque un spectre de choeur grec, Miller poursuit la déconstruction de Max au point de le faire carrément disparaître de sa propre saga. C'est gonflé, mais pas complètement surprenant de sa part, quand on y réfléchit. Mad Max, à l'époque des débuts de la série, c'était un avenir crédible. Une société en décomposition qui finit par imploser, et un retour à la barbarie, celui que nous prédisait Robert E. Howard il y a un poil moins d'un siècle. Max, c'est un peu un Conan post-moderne, ou un Solomon Kane qui aurait fini par baisser les bras et sombrer dans la désillusion. Les années 70 étaient passé par là, et la trilogie initiale consacrée à Max le fou est devenue un élément culturel fort des années 80, à l'influence importante. Les tensions qu'on devinait étaient appelées à se résoudre. Le Dôme du Tonnerre, pui

Sonja la rousse, Sonja belle et farouche, ta vie a le goût d'aventure

 Je m'avise que ça fait bien des lunes que je ne m'étais pas penché sur une adaptation de Robert E. Howard au cinoche. Peut-être est-ce à cause du décès de Frank Thorne, que j'évoquais dernièrement chez Jonah J. Monsieur Bruce , ou parce que j'ai lu ou relu pas mal d'histoires de Sonja, j'en causais par exemple en juillet dernier , ou bien parce que quelqu'un a évoqué la bande-son d'Ennio Morricone, mais j'ai enfin vu Red Sonja , le film, sorti sous nos latitudes sous le titre Kalidor, la légende du talisman .   On va parler de ça, aujourd'hui Sortant d'une période de rush en termes de boulot, réfléchissant depuis la sortie de ma vidéo sur le slip en fourrure de Conan à comment lui donner une suite consacrée au bikini en fer de Sonja, j'ai fini par redescendre dans les enfers cinématographiques des adaptations howardiennes. Celle-ci a un statut tout particulier, puisque Red Sonja n'est pas à proprement parler une création de Robert H

Serial writer

Parmi les râleries qui agitent parfois le petit (micro) milieu de l'imaginaire littéraire français, y a un truc dont je me suis pas mêlé, parce qu'une fois encore, je trouve le débat mal posé. Je suis capable d'être très casse-burette sur la manière de poser les débats. Mal poser un débat, c'est ravaler l'homme bien plus bas que la bête, au niveau d'un intervenant Céniouze. On n'en était certes pas là, et de loin, mais les esprits s'enflamment si vite, de nos jours.   Du coup, c'est ici que je vais développer mon point de vue. Déjà parce que c'est plus cosy, y a plus la place, déjà, que sur des posts de réseaux sociaux, je peux prendre le temps de peser le moindre bout de virgule, et puis peut-être aussi (c'est même la raison principale, en vrai) je suis d'une parfaite lâcheté et le potentiel de bagarre est moindre. Bref. Le sujet de fâcherie qui ressurgit avec régularité c'est (je synthétise, paraphrase et amalgame à donf) : "Po

Archie

 Retour à des rêves architecturaux, ces derniers temps. Universités monstrueuses au modernisme écrasant (une réminiscence, peut-être, de ma visite de celle de Bielefeld, il y a très longtemps et qui a l'air d'avoir pas mal changé depuis, si j'en crois les photos que j'ai été consulter pour vérifier si ça correspondait, peut-être était-ce le temps gris de ce jour-là mais cela m'avait semblé bien plus étouffants que ça ne l'est), centres commerciaux tentaculaires, aux escalators démesurés, arrière-lieux labyrinthiques, que ce soient caves, couloirs de service, galeries parcourues de tuyauteries et de câblages qu'on diraient conçues par un Ron Cobb sous amphétamines. J'erre là-dedans, en cherchant Dieu seul sait quoi. Ça m'a l'air important sur le moment, mais cet objectif de quête se dissipe avant même mon réveil. J'y croise des gens que je connais en vrai, d'autres que je ne connais qu'en rêve et qui me semblent des synthèses chimériqu

Nietzsche et les surhommes de papier

« Il y aura toujours des monstres. Mais je n'ai pas besoin d'en devenir un pour les combattre. » (Batman) Le premier des super-héros est, et reste, Superman. La coïncidence (intentionnelle ou non, c'est un autre débat) de nom en a fait dans l'esprit de beaucoup un avatar du Surhomme décrit par Nietzsche dans Ainsi parlait Zarathoustra . C'est devenu un lieu commun de faire de Superman l'incarnation de l' Übermensch , et c'est par là même un moyen facile de dénigrer le super-héros, de le renvoyer à une forme de l'imaginaire maladive et entachée par la mystique des Nazis, quand bien même Goebbels y voyait un Juif dont le S sur la poitrine signifiait le Dollar. Le super-héros devient, dans cette logique, un genre de fasciste en collants, un fantasme, une incarnation de la « volonté de puissance ».   Le surhomme comme héritier de l'Hercule de foire.   Ce n'est pas forcément toujours faux, mais c'est tout à fait réducteu

Le super-saiyan irlandais

Il y a déjà eu, je crois, des commentateurs pour rapprocher le début de la saga Dragonball d'un célèbre roman chinois, le Voyage en Occident (ou Pérégrination vers l'Ouest ) source principale de la légende du roi des singes (ou du singe de pierre) (faudrait que les traducteurs du chinois se mettent d'accord, un de ces quatre). D'ailleurs, le héros des premiers Dragonball , Son Goku, tire son nom du singe présent dans le roman (en Jap, bien sûr, sinon c'est Sun Wu Kong) (et là, y aurait un parallèle à faire avec le « Roi Kong », mais c'est pas le propos du jour), et Toriyama, l'auteur du manga, ne s'est jamais caché de la référence (qu'il avait peut-être été piocher chez Tezuka, auteur en son temps d'une Légende de Songoku ).    Le roi des singes, encore en toute innocence. Mais l'histoire est connue : rapidement, le côté initiatique des aventures du jeune Son Goku disparaît, après l'apparition du premier dr