Accéder au contenu principal

Moonwalk à la playa (ou : vamos à la plage arrière)

Encore un titre débile, mais c'est parce que je me suis encore énervé tout rouge. Et encore à cause de la télé. Que je ne regardais même pas, en plus.

Le fiston avait mis le Tour de France, et donc j'entendais en bruit de fond les commentaires, bossant dans la pièce à côté. Des trucs dont je ne captais que des bribes, des commentaires sur tel monument, tel coin de montagne, tel coureur qui fait ceci c'est formidable, telle écurie, etc… (je sais pas si on dit écurie pour les équipes cyclistes, mais je m'en fous, en fait)

Je sirotais mon café tout en épluchant les corrections renvoyées par un éditeur sur un de mes manuscrits, quand il m'est ressorti par les narines (le café, pas l'éditeur).

Je ne sais pas d'où la conversation des journalistes sportifs est tombé là-dessus (je n'ai même aucune idée d'où passait le Tour, aujourd'hui) (probablement un endroit qui ne faisait même pas partie de la France à l'époque dont on va parler, d'ailleurs), mais l'un d'eux a dit : "… Charles VI, qui a bradé la souveraineté française aux Anglais".

Oh putain, ça m'a énervé. J'ai dit au fiston d'arrêter d'écouter ces connards.

Bordel, je suis même pas spécialiste du sujet, là, mais y a pas besoin de l'avoir beaucoup creusé pour voir à quel point ce bout de phrase est orienté politiquement et assez fielleux.

On va la faire rapide, autant que possible (donc tous ces points que je vais évoquer mériteraient un développement plus étendu, et je serai parfois un poil schématique).

- Charles VI était pas en état de brader grand-chose. S'il a signé le traité de Troyes, il faut rappeler qu'il était dans un état psychologique complètement instable, et qu'il n'était pas du tout à même de gouverner.

- La réalité du pouvoir était détenue par sa femme, Isabelle de Bavière (Isabeau, pour ses ennemis, et ce sont eux qui ont écrit l'histoire, l'y faisant entrer sous ce nom), qui devait gérer une guerre civile (celle des Armagnacs et des Bourguignons).

- Les Anglais aussi sortaient d'une guerre civile et d'une série de révoltes, mais leur nouveau roi Henry V a trouvé le moyen de ressouder tout le monde : cogner les bouffeurs de grenouilles (la Guerre de Cent Ans avait connu une accalmie, vue que ses protagonistes principaux étaient occupés chacun de son côté à une guerre civile). Vu que l'état français a le froc en bas des jambes, Henry a vite fait de le mettre à genoux.

- Le peuple de Paris n'a pas envie de voir la guerre reprendre, et il est… majoritairement pro-anglais à l'époque (la Sorbonne, notamment, fournira quelques temps plus tard les accusateurs du procès de Jeanne d'Arc). Il faudra beau temps avant que la confiance se rétablisse entre la Capitale et les rois de France (elle ne se rétablira jamais totalement d'ailleurs, et Versailles deviendra bien plus tard le symbole le plus évident de cette défiance). C'est pour ça qu'ils passeront le plus clair du siècle suivant dans les châteaux de la Loire plutôt qu'à Paris.

Dès lors que le roi était aux abonnés absents, que ceux qui étaient chargés de le défendre pourrissaient dans la bouillasse d'Azincourt, que la régence était sous la coupe des Bourguignons, qui avaient payé très cher, quelques décennies plus tôt, les cavalcades anglaises et s'en remettaient à peine, et ont préféré lâcher du lest, il n'y avait plus de "souveraineté" à brader. Et plus grand-monde pour le faire. L'histoire a d'ailleurs prouvé que les Valois n'ont fait que reculer pour mieux sauter, et ont opéré un assez joli rétablissement à peine une dizaine d'années plus tard.

Donc dire que "Charles VI a bradé la souveraineté", sur un ton de dégoût, et en faire une sorte de traitre type auquel on sous-entend qu'il faudrait renvoyer d'autres traitres plus récents, c'est cracher des contre-vérités, ou en tout cas tordre les faits et en occulter d'autres pour orienter le tout, et ça relève d'une conception de l'histoire un peu inquiétante, très manichéenne et nationaliste (au prix d'ailleurs d'anachronismes de concepts), la renvoie à une manière de l'envisager qui était celle du XIXe siècle, et qui finit à force de vouloir lui donner des enjeux "clairs" '(mais déconnectés de la réalité du temps) par la rendre inintelligible.

Commentaires

Anonyme a dit…
Tout ça ne nous dit pas qui a gagné l'étape de Toulouse en 1909 ...
Krka
Alex Nikolavitch a dit…
oh, j'ai ma petite idée.

Posts les plus consultés de ce blog

Back to back

 Et je sors d'une nouvelle panne de réseau, plus de 15 jours cette fois-ci. Il y a un moment où ça finit par torpiller le travail, l'écriture d'articles demandant à vérifier des référence, certaines traductions où il faut vérifier des citations, etc. Dans ce cas, plutôt que de glander, j'en profite pour avancer sur des projets moins dépendants de ma connexion, comme Mitan n°3, pour écrire une nouvelle à la volée, ou pour mettre de l'ordre dans de vieux trucs. Là, par exemple, j'ai ressorti tout plein de vieux scénarios de BD inédits. Certains demandaient à être complétés, c'est comme ça que j'ai fait un choix radical et terminé un script sur François Villon que je me traîne depuis des années parce que je ne parvenais pas à débusquer un élément précis dans la documentation, et du coup je l'ai bouclé en quelques jours. D'autres demandaient un coup de dépoussiérage, mais sont terminés depuis un bail et n'ont jamais trouvé de dessinateur ou d

Le Messie de Dune saga l'autre

Hop, suite de l'article de l'autre jour sur Dune. Là encore, j'ai un petit peu remanié l'article original publié il y a trois ans. Je ne sais pas si vous avez vu l'argumentaire des "interquelles" (oui, c'est le terme qu'ils emploient) de Kevin J. En Personne, l'Attila de la littérature science-fictive. Il y a un proverbe qui parle de nains juchés sur les épaules de géants, mais l'expression implique que les nains voient plus loin, du coup, que les géants sur lesquels ils se juchent. Alors que Kevin J., non. Il monte sur les épaules d'un géant, mais ce n'est pas pour regarder plus loin, c'est pour regarder par terre. C'est triste, je trouve. Donc, voyons l'argumentaire de Paul le Prophète, l'histoire secrète entre Dune et le Messie de Dune. Et l'argumentaire pose cette question taraudante : dans Dune, Paul est un jeune et gentil idéaliste qui combat des méchants affreux. Dans Le Messie de Dune, il est d

Le dessus des cartes

 Un exercice que je pratique à l'occasion, en cours de scénario, c'est la production aléatoire. Il s'agit d'un outil visant à développer l'imagination des élèves, à exorciser le spectre de la page blanche, en somme à leur montrer que pour trouver un sujet d'histoire, il faut faire feu de tout bois. Ceux qui me suivent depuis longtemps savent que Les canaux du Mitan est né d'un rêve, qu'il m'a fallu quelques années pour exploiter. Trois Coracles , c'est venu d'une lecture chaotique conduisant au télescopage de deux paragraphes sans lien. Tout peut servir à se lancer. Outre les Storycubes dont on a déjà causé dans le coin, il m'arrive d'employer un jeu de tarot de Marseille. Si les Storycubes sont parfaits pour trouver une amorce de récit, le tarot permet de produite quelque chose de plus ambitieux : toute l'architecture d'une histoire, du début à la fin. Le tirage que j'emploie est un système à sept cartes. On prend dans

Le super-saiyan irlandais

Il y a déjà eu, je crois, des commentateurs pour rapprocher le début de la saga Dragonball d'un célèbre roman chinois, le Voyage en Occident (ou Pérégrination vers l'Ouest ) source principale de la légende du roi des singes (ou du singe de pierre) (faudrait que les traducteurs du chinois se mettent d'accord, un de ces quatre). D'ailleurs, le héros des premiers Dragonball , Son Goku, tire son nom du singe présent dans le roman (en Jap, bien sûr, sinon c'est Sun Wu Kong) (et là, y aurait un parallèle à faire avec le « Roi Kong », mais c'est pas le propos du jour), et Toriyama, l'auteur du manga, ne s'est jamais caché de la référence (qu'il avait peut-être été piocher chez Tezuka, auteur en son temps d'une Légende de Songoku ).    Le roi des singes, encore en toute innocence. Mais l'histoire est connue : rapidement, le côté initiatique des aventures du jeune Son Goku disparaît, après l'apparition du premier dr

Fais-le, ou ne le fais pas, mais il n'y a pas d'essai

 Retravailler un essai vieux de dix ans, c'est un exercice pas simple. Ça m'était déjà arrivé pour la réédition de Mythe & super-héros , et là c'est reparti pour un tour, sur un autre bouquin. Alors, ça fait toujours plaisir d'être réédité, mais ça implique aussi d'éplucher sa propre prose et avec le recul, ben... Bon, c'est l'occasion de juger des progrès qu'on a fait dans certains domaines. Bref, j'ai fait une repasse de réécriture de pas mal de passages. Ça, c'est pas si compliqué, c'est grosso modo ce que je fais une fois que j'ai bouclé un premier jet. J'ai aussi viré des trucs qui ne me semblaient plus aussi pertinents qu'à l'époque. Après, le sujet a pas mal évolué en dix ans. Solution simple : rajouter un chapitre correspondant à la période. En plus, elle se prête à pas mal d'analyses nouvelles. C'est toujours intéressant. La moitié du chapitre a été simple à écrire, l'autre a pris plus de temps parce q

Hail to the Tao Te King, baby !

Dernièrement, dans l'article sur les Super Saiyan Irlandais , j'avais évoqué au passage, parmi les sources mythiques de Dragon Ball , le Voyage en Occident (ou Pérégrination vers l'Ouest ) (ou Pèlerinage au Couchant ) (ou Légende du Roi des Singes ) (faudrait qu'ils se mettent d'accord sur la traduction du titre de ce truc. C'est comme si le même personnage, chez nous, s'appelait Glouton, Serval ou Wolverine suivant les tra…) (…) (…Wait…). Ce titre, énigmatique (sauf quand il est remplacé par le plus banal «  Légende du Roi des Singes  »), est peut-être une référence à Lao Tseu. (vous savez, celui de Tintin et le Lotus Bleu , « alors je vais vous couper la tête », tout ça).    C'est à perdre la tête, quand on y pense. Car Lao Tseu, après une vie de méditation face à la folie du monde et des hommes, enfourcha un jour un buffle qui ne lui avait rien demandé et s'en fut vers l'Ouest, et on ne l'a plus jamais revu. En chemin,

Vlad Tepes, dit Dracula

" Vous allez vous manger entre vous. Ou bien partir lutter contre les Turcs. " (Dracula, 1430 -1476) Dracula... Le surnom du prince des Valaques est devenu au fil du temps synonyme d'horreur et de canines pointues, principalement sous l'impulsion d'un écrivain irlandais, Bram Stoker, qui le dégrada d'ailleurs au point de le faire passer pour un comte, un bien triste destin pour un voïévode qui fit trembler l'empire qui faisait trembler l'Europe chrétienne. Tout se serait pourtant bien passé s'il n'avait pas été élevé à la cour du Sultan, comme cela se pratiquait à l'époque. En effet, il fut avec son demi-frère Radu otage des Turcs, afin de garantir la coopération de la famille, son père Vlad Dracul étant devenu par la force des choses le fantoche de l'envahisseur (le père se révolta pourtant et y laissa la vie. Mircea, le grand-frère, tenta le coup à son tour avec le même résultat. il est intéressant de noter que les otages

Les Canaux du Mitan

 Bon, ayé, c'est officiel, mon prochain bouquin pour les Moutons électriques sort en avril prochain. C'est celui dont je vous ai déjà causé ici même en l'appelant "Projet Péniche". On y retrouvera une partie de mes fixettes, mais la forme sera encore différente de ce que j'ai pu faire auparavant. J'attends de pied ferme la couverture de Melchior Ascaride pour pouvoir me régaler les yeux et vous la montrer. Dans l'intervalle, voilà la quatrième de couve : Une enfance parmi les" freaks" dans les canaux d'un monde différent. Un roman initiatique entre steampunk et Steinbeck. Le Mitan, vaste plaine couturée de canaux, creusés en des temps immémoriaux, et que les colons parcourent désormais sur de lentes péniches tirée par des chevaux. C'est sur l'une d'entre elles qu'embarque le jeune Gabriel, attiré par son côté exotique : peuplée de phénomènes de foire, elle lui permet d'échapper à un quotidien morose. Mais à q

Nietzsche et les surhommes de papier

« Il y aura toujours des monstres. Mais je n'ai pas besoin d'en devenir un pour les combattre. » (Batman) Le premier des super-héros est, et reste, Superman. La coïncidence (intentionnelle ou non, c'est un autre débat) de nom en a fait dans l'esprit de beaucoup un avatar du Surhomme décrit par Nietzsche dans Ainsi parlait Zarathoustra . C'est devenu un lieu commun de faire de Superman l'incarnation de l' Übermensch , et c'est par là même un moyen facile de dénigrer le super-héros, de le renvoyer à une forme de l'imaginaire maladive et entachée par la mystique des Nazis, quand bien même Goebbels y voyait un Juif dont le S sur la poitrine signifiait le Dollar. Le super-héros devient, dans cette logique, un genre de fasciste en collants, un fantasme, une incarnation de la « volonté de puissance ».   Le surhomme comme héritier de l'Hercule de foire.   Ce n'est pas forcément toujours faux, mais c'est tout à fait réducteu

Nécrologie ou résurrection

 Hasard du calendrier, voici que ressurgit d'outre-tombe un personnage mort-vivant apparu dans un récit de Spawn, le "Necrocop", créations frankensteinienne de savants fous cherchant à créer un Spawn qu'ils pouvaient contrôler. Ce qui était sans doute illusoire, vu que les créateurs du vrai Spawn n'ont jamais pu contrôler leur propre mort-vivant. Back to the retour (Dans Scorched : L'Escouade Infernale tome 3) Bref. Pourquoi j'en parle ? Parce que derrière les savants-fous, il y avait des auteurs. Les vrais créateurs du personnage, ce sont Jeff Porcherot (alias Arthur Clare) et... moi-même. Et c'était y a pile vingt ans, ce qui ne nous rajeunit pas. Spawn Simonie , où était apparu le personnage, était un beau projet, une coédition entre Semic, l'éditeur de Spawn en France à l'époque, et Todd McFarlane, créateur et éditeur du personnage, qui nous a prêté son jouet. C'était exactement ça, quelque chose de beaucoup plus détendu que ce à quoi n