Accéder au contenu principal

La citation du mercredi

Je viens de relever ceci, sur le site du Monde, à propos de la détresse des utilisateurs de Blackberry.

"Une Mme Crosby, commerciale à Los Angeles, dit avoir cessé de sortir son téléphone Blackberry en public lorsqu'elle se rend dans une soirée cocktail ou à une conférence. Elle le cache sous son iPad en rendez-vous d'affaires, de peur que ses clients ne voient l'objet et "ne la jugent"."

Outre le côté collégienne qui a honte de son jean décoré façon clous et paillettes datant de l'an passé, la chose est, pour peu qu'on gratte un peu sur le fond, révélatrice de certains des travers les plus grotesques de notre société, et surtout de ses élites.

Dans toute une catégorie de population, le téléphone portable semble être devenu une sorte de marqueur social, qu'on exhibe fièrement à des cocktails (où l'on est censé parler avec les gens présent, par exemple des absents, et pas avec les absents pour casser du sucre sur les présents) au mépris de toutes les convenances, ou lors de conférences, nonobstant le fait que c'est quand même remarquablement insultant pour le conférencier.

En rendez-vous d'affaires, c'est le truc qu'on pose sur la table pour bien montrer qu'on est quelqu'un de très occupé, qu'il FAUT qu'on soit joignable à tout moment, même et surtout pour se contenter de dire "je suis très occupé, je te rappelle". Et le Blackberry était un appareil cher et sérieux, c'était le top, le truc qui montrait qu'on avait les moyens et le sérieux nécessaire, qu'on était à la pointe, voire que l'entreprise avait une stratégie de télécoms solide.


"Téléphone en bonne fonte hauts fourneaux Novossibirsk
pas seulement plus solide : aussi jamais ringard parce que jamais top de la mode.
Juste se porter de préférence avec salopette parce que
nécessiter grande poche."

Sauf que dans notre société d'obsolescence programmée (j'en reparlais pas plus tard que l'autre jour), on s'aperçoit que le culte des apparences et de l'immédiateté nous renvoie directement aux pratiques du passé, précisément à la Cour à l'époque des Bourbons*, ça tourne quand même au grotesque. Les mêmes gens qui exhibaient fièrement leur appareil "sécurisé" (l'affaire DSK et plusieurs saisines dans des pays où le gouvernement veut mettre le nez dans les communications des gens ont montré à quel point cette sécurité pouvait être un leurre) en ont à présent honte, tant il a été remplacé par des appareils vus comme plus "cool" (et même pas forcément meilleurs technologiquement, c'est ça qui est magnifique).

Cet appareil qui était un gage de sérieux leur semble peu de temps après frappé au coin de la ringardise. Mais tellement prisonniers de leurs habitudes et de leurs cadres de représentation, il ne leur vient pas à l'idée d'adopter un comportement de pur bon sens : le téléphone portable, quand on bosse, on le garde dans la poche, et en mode silencieux, voir éteint (surtout en conférence, connasse). Ça évite bien des nuisances. Alors que quand on adopte un comportement d'exhibitionniste montrant compulsivement son machin, c'est pas étonnant qu'on ait fugacement l'impression d'être un vieux pervers.



*tiens, j'ai vu que ça bataillait judiciairement au sujet des semelles rouges de Christian Louboutin, qui se prétend indûment propriétaire d'un concept dont il ne saurait se prévaloir d'être l'inventeur, puisqu'il remonte à Monsieur, alias Philippe d'Orléans, suite à une nouba de Carême dans un abattoir, restée célèbre.

Commentaires

Tonton Rag a dit…
Il me semble que le culte des apparences, cela a commencé avec les Valois (fussent-ils directs ou Angoulème).
Alex Nikolavitch a dit…
Alors, ce n'est pas faux (rappelons-nous les quolibets qu'endurait Louis XI parce qu'il préférait mettre du pognon dans un service postal de qualité plutôt que dans ses fringues), mais ça a pris une tournure très ritualisée à partir de Louis XIV, quand même (ce n'est pas pour rien que je cite l'affaire des Talons Rouges, parfaitement emblématique du fonctionnement de la mode à la Cour), dont le film Ridicule montre l'aboutissement (mais dont le Barry Lyndon de Kubrick montre bien aussi le côté maladif).

Après, le surinvestissement dans des colifichets, je le comprends dans une cour de collège (où les gamins se fabriquent une identité), mais ça me tétanise toujours un peu plus chez des adultes responsables. ne vivre que par le regard des autres à ce point (ou pire, par la perception subjective qu'on a du regard des autres), ça doit être une expérience assez terrifiante quand même.
abelthorne a dit…
Je crois que cet article part d'un point de départ erroné et d'une mauvaise interprétation de la citation : si les gens ont honte de montrer leur Blackberry en public ce n'est pas parce que les produits Apple sont plus cools ou quoi que ce soit de ce genre. C'est parce qu'ils viennent de découvrir que Frédéric Lefebvre a un Blackberry.

(En passant, je suis allé voir sur sa fiche Wikipédia avant de taper ce message parce que je ne sais jamais si c'est "Lefèvre" ou "Lefebvre" et je vous la recommande : la photo qui l'illustre est formidable.)
Alex Nikolavitch a dit…
Oui, mais non. Frédéric Lefebvre, c'est has been, comme méchant, c'est un peu comme les félons à barbichette "badinguet" dans les films de cape et d'épée. on ne l'entend plus, et il a céder sa place d'aboyeur de foire à Jean-François Copé et à son pain au chocolat, qui pète les stats sur l'échelle Zadig & Voltaire.
fabien a dit…
Et si le ticket de 2017 c'était Copé-Lefebvre ???? (je vais me suicider et je reviens…)

Posts les plus consultés de ce blog

Back to back

 Et je sors d'une nouvelle panne de réseau, plus de 15 jours cette fois-ci. Il y a un moment où ça finit par torpiller le travail, l'écriture d'articles demandant à vérifier des référence, certaines traductions où il faut vérifier des citations, etc. Dans ce cas, plutôt que de glander, j'en profite pour avancer sur des projets moins dépendants de ma connexion, comme Mitan n°3, pour écrire une nouvelle à la volée, ou pour mettre de l'ordre dans de vieux trucs. Là, par exemple, j'ai ressorti tout plein de vieux scénarios de BD inédits. Certains demandaient à être complétés, c'est comme ça que j'ai fait un choix radical et terminé un script sur François Villon que je me traîne depuis des années parce que je ne parvenais pas à débusquer un élément précis dans la documentation, et du coup je l'ai bouclé en quelques jours. D'autres demandaient un coup de dépoussiérage, mais sont terminés depuis un bail et n'ont jamais trouvé de dessinateur ou d

Le Messie de Dune saga l'autre

Hop, suite de l'article de l'autre jour sur Dune. Là encore, j'ai un petit peu remanié l'article original publié il y a trois ans. Je ne sais pas si vous avez vu l'argumentaire des "interquelles" (oui, c'est le terme qu'ils emploient) de Kevin J. En Personne, l'Attila de la littérature science-fictive. Il y a un proverbe qui parle de nains juchés sur les épaules de géants, mais l'expression implique que les nains voient plus loin, du coup, que les géants sur lesquels ils se juchent. Alors que Kevin J., non. Il monte sur les épaules d'un géant, mais ce n'est pas pour regarder plus loin, c'est pour regarder par terre. C'est triste, je trouve. Donc, voyons l'argumentaire de Paul le Prophète, l'histoire secrète entre Dune et le Messie de Dune. Et l'argumentaire pose cette question taraudante : dans Dune, Paul est un jeune et gentil idéaliste qui combat des méchants affreux. Dans Le Messie de Dune, il est d

Le dessus des cartes

 Un exercice que je pratique à l'occasion, en cours de scénario, c'est la production aléatoire. Il s'agit d'un outil visant à développer l'imagination des élèves, à exorciser le spectre de la page blanche, en somme à leur montrer que pour trouver un sujet d'histoire, il faut faire feu de tout bois. Ceux qui me suivent depuis longtemps savent que Les canaux du Mitan est né d'un rêve, qu'il m'a fallu quelques années pour exploiter. Trois Coracles , c'est venu d'une lecture chaotique conduisant au télescopage de deux paragraphes sans lien. Tout peut servir à se lancer. Outre les Storycubes dont on a déjà causé dans le coin, il m'arrive d'employer un jeu de tarot de Marseille. Si les Storycubes sont parfaits pour trouver une amorce de récit, le tarot permet de produite quelque chose de plus ambitieux : toute l'architecture d'une histoire, du début à la fin. Le tirage que j'emploie est un système à sept cartes. On prend dans

Le super-saiyan irlandais

Il y a déjà eu, je crois, des commentateurs pour rapprocher le début de la saga Dragonball d'un célèbre roman chinois, le Voyage en Occident (ou Pérégrination vers l'Ouest ) source principale de la légende du roi des singes (ou du singe de pierre) (faudrait que les traducteurs du chinois se mettent d'accord, un de ces quatre). D'ailleurs, le héros des premiers Dragonball , Son Goku, tire son nom du singe présent dans le roman (en Jap, bien sûr, sinon c'est Sun Wu Kong) (et là, y aurait un parallèle à faire avec le « Roi Kong », mais c'est pas le propos du jour), et Toriyama, l'auteur du manga, ne s'est jamais caché de la référence (qu'il avait peut-être été piocher chez Tezuka, auteur en son temps d'une Légende de Songoku ).    Le roi des singes, encore en toute innocence. Mais l'histoire est connue : rapidement, le côté initiatique des aventures du jeune Son Goku disparaît, après l'apparition du premier dr

Fais-le, ou ne le fais pas, mais il n'y a pas d'essai

 Retravailler un essai vieux de dix ans, c'est un exercice pas simple. Ça m'était déjà arrivé pour la réédition de Mythe & super-héros , et là c'est reparti pour un tour, sur un autre bouquin. Alors, ça fait toujours plaisir d'être réédité, mais ça implique aussi d'éplucher sa propre prose et avec le recul, ben... Bon, c'est l'occasion de juger des progrès qu'on a fait dans certains domaines. Bref, j'ai fait une repasse de réécriture de pas mal de passages. Ça, c'est pas si compliqué, c'est grosso modo ce que je fais une fois que j'ai bouclé un premier jet. J'ai aussi viré des trucs qui ne me semblaient plus aussi pertinents qu'à l'époque. Après, le sujet a pas mal évolué en dix ans. Solution simple : rajouter un chapitre correspondant à la période. En plus, elle se prête à pas mal d'analyses nouvelles. C'est toujours intéressant. La moitié du chapitre a été simple à écrire, l'autre a pris plus de temps parce q

Hail to the Tao Te King, baby !

Dernièrement, dans l'article sur les Super Saiyan Irlandais , j'avais évoqué au passage, parmi les sources mythiques de Dragon Ball , le Voyage en Occident (ou Pérégrination vers l'Ouest ) (ou Pèlerinage au Couchant ) (ou Légende du Roi des Singes ) (faudrait qu'ils se mettent d'accord sur la traduction du titre de ce truc. C'est comme si le même personnage, chez nous, s'appelait Glouton, Serval ou Wolverine suivant les tra…) (…) (…Wait…). Ce titre, énigmatique (sauf quand il est remplacé par le plus banal «  Légende du Roi des Singes  »), est peut-être une référence à Lao Tseu. (vous savez, celui de Tintin et le Lotus Bleu , « alors je vais vous couper la tête », tout ça).    C'est à perdre la tête, quand on y pense. Car Lao Tseu, après une vie de méditation face à la folie du monde et des hommes, enfourcha un jour un buffle qui ne lui avait rien demandé et s'en fut vers l'Ouest, et on ne l'a plus jamais revu. En chemin,

Vlad Tepes, dit Dracula

" Vous allez vous manger entre vous. Ou bien partir lutter contre les Turcs. " (Dracula, 1430 -1476) Dracula... Le surnom du prince des Valaques est devenu au fil du temps synonyme d'horreur et de canines pointues, principalement sous l'impulsion d'un écrivain irlandais, Bram Stoker, qui le dégrada d'ailleurs au point de le faire passer pour un comte, un bien triste destin pour un voïévode qui fit trembler l'empire qui faisait trembler l'Europe chrétienne. Tout se serait pourtant bien passé s'il n'avait pas été élevé à la cour du Sultan, comme cela se pratiquait à l'époque. En effet, il fut avec son demi-frère Radu otage des Turcs, afin de garantir la coopération de la famille, son père Vlad Dracul étant devenu par la force des choses le fantoche de l'envahisseur (le père se révolta pourtant et y laissa la vie. Mircea, le grand-frère, tenta le coup à son tour avec le même résultat. il est intéressant de noter que les otages

Les Canaux du Mitan

 Bon, ayé, c'est officiel, mon prochain bouquin pour les Moutons électriques sort en avril prochain. C'est celui dont je vous ai déjà causé ici même en l'appelant "Projet Péniche". On y retrouvera une partie de mes fixettes, mais la forme sera encore différente de ce que j'ai pu faire auparavant. J'attends de pied ferme la couverture de Melchior Ascaride pour pouvoir me régaler les yeux et vous la montrer. Dans l'intervalle, voilà la quatrième de couve : Une enfance parmi les" freaks" dans les canaux d'un monde différent. Un roman initiatique entre steampunk et Steinbeck. Le Mitan, vaste plaine couturée de canaux, creusés en des temps immémoriaux, et que les colons parcourent désormais sur de lentes péniches tirée par des chevaux. C'est sur l'une d'entre elles qu'embarque le jeune Gabriel, attiré par son côté exotique : peuplée de phénomènes de foire, elle lui permet d'échapper à un quotidien morose. Mais à q

Nietzsche et les surhommes de papier

« Il y aura toujours des monstres. Mais je n'ai pas besoin d'en devenir un pour les combattre. » (Batman) Le premier des super-héros est, et reste, Superman. La coïncidence (intentionnelle ou non, c'est un autre débat) de nom en a fait dans l'esprit de beaucoup un avatar du Surhomme décrit par Nietzsche dans Ainsi parlait Zarathoustra . C'est devenu un lieu commun de faire de Superman l'incarnation de l' Übermensch , et c'est par là même un moyen facile de dénigrer le super-héros, de le renvoyer à une forme de l'imaginaire maladive et entachée par la mystique des Nazis, quand bien même Goebbels y voyait un Juif dont le S sur la poitrine signifiait le Dollar. Le super-héros devient, dans cette logique, un genre de fasciste en collants, un fantasme, une incarnation de la « volonté de puissance ».   Le surhomme comme héritier de l'Hercule de foire.   Ce n'est pas forcément toujours faux, mais c'est tout à fait réducteu

Nécrologie ou résurrection

 Hasard du calendrier, voici que ressurgit d'outre-tombe un personnage mort-vivant apparu dans un récit de Spawn, le "Necrocop", créations frankensteinienne de savants fous cherchant à créer un Spawn qu'ils pouvaient contrôler. Ce qui était sans doute illusoire, vu que les créateurs du vrai Spawn n'ont jamais pu contrôler leur propre mort-vivant. Back to the retour (Dans Scorched : L'Escouade Infernale tome 3) Bref. Pourquoi j'en parle ? Parce que derrière les savants-fous, il y avait des auteurs. Les vrais créateurs du personnage, ce sont Jeff Porcherot (alias Arthur Clare) et... moi-même. Et c'était y a pile vingt ans, ce qui ne nous rajeunit pas. Spawn Simonie , où était apparu le personnage, était un beau projet, une coédition entre Semic, l'éditeur de Spawn en France à l'époque, et Todd McFarlane, créateur et éditeur du personnage, qui nous a prêté son jouet. C'était exactement ça, quelque chose de beaucoup plus détendu que ce à quoi n