Accéder au contenu principal

Considération geek

Une récente discussion sur un forum m'a conduit à réfléchir.

C'était parti d'un truc assez idiot : un lecteur de manga qui lisait de temps en temps du comics s'étonnait du fait que les lecteurs de comics n'en avaient souvent pas grand chose à faire de commencer leurs séries dans l'ordre et du début du numéro 1, et que même les tentatives d'intégrales n'étaient souvent qu'approximatives, quand elles existaient. Ce à quoi les lecteurs de comics lui avaient répondu qu'il était un tout petit peu complexe de démarrer la lecture des aventures de Batman et de Spiderman à partir  du numéro 1, vu que primo, pour Batman le numéro 1 c'était Detective Comics 27 et pour Spider-Man Amazing Fantasy 15, et qu'en plus, sur respectivement 50 et 80 ans, c'était difficile de tout avoir, surtout que chacun des personnages avait eu droit à jusqu'à quatre ou cinq séries simultanément.

De fait, le lecteur qui s'intéresse au comics se fait très vite une raison : si complétiste qu'il soit, il n'aura jamais TOUT, primo parce qu'il y en a trop, deuzio parce que certains trucs ne sont pas réédités. Du coup, il se retrouve à ne connaitre que certaines histoires que par oui-dire, par références ultérieures (le lecteur qui lit du Batman actuel sait que Batman a eu un fils de Talia, mais n'a pas forcément lu Son of the Demon à sa sortie en 87. Le lecteur actuel de X-Men qui a vu les films, et l'avatar Phénixien de Jean Grey, n'a pas forcément lu les épisodes correspondants dans la BD, mais a intégré la notion de dérapage de Jean, et ses retours ultérieurs : la série y fait régulièrement référence. Le spectateur des films Spider-Man de Sam Raimy qui connait un peu la BD tilte tout de suite sur la scène du costume dans la poubelle, même s'il n'a pas vu le très vieil épisode à laquelle elle fait référence : l'image a été réimprimée un peu partout, c'est un des jalons du personnage.

Et puis les comics sont interconnectés. Le gros fan de Green Lantern est au courant des détails de la mort de Superman, parce que ce sont les conséquences de cette mort qui ont amené la destruction de Coast City et la folie de Hal Jordan. Il sait que les diverses Crisis qui ont secoué l'univers DC remontent en partie aux expériences de Krona. Il connait au moins les grandes lignes des biographies de Green Arrow et de Flash, même s'il n'a jamais lu leurs aventures, parce qu'elles ont eu un impact direct sur la carrière de Green Lantern.

Même le lecteur qui ne touche pas trop au super-héros a vite compris que la série Preacher tire son concept d'épisodes de Hellblazer, que Hellblazer est un spin-off de Swamp Thing, et que Swamp Thing est intégré au même univers que Batman et Superman. Le Sandman de Neil Gaiman intègre ceux de Kirby, eux-mêmes parties intégrante de l'univers super-héroïque de DC. L'amateur de pitreries goûte le fait que Hitman gerbe sur les botte de Batman, joue des tours pendables à Green Lantern, mais bafouille d'émotion devant Superman (et se serve de ses pouvoirs pour regarder Wonder Woman et Catwoman à poil) et comprend dès lors la psychologie du personnage, même s'il n'a pas ouvert un numéro de Wonder Woman depuis.... Jamais. Le lecteur d'Authority a vite fait de reconnaitre Kirby sous le masque du professeur Krigstein.

Ça n'existe pas vraiment dans le Manga, tout ça. On ne retrouve ce genre de choses que chez les fans de Leiji Matsumoto, et c'est parce qu'il s'est construit un univers partagé dans lequel plusieurs séries s'interconnectent. Pour les autres, le lecteur de Dragonball se fout généralement royalement de MPD Psycho, celui de Sailor Moon ne goute peut-être que très modérément l'humour de Hellsing et ne sait peut-être même pas que ça existe. Le type qui a tout Naruto ne sait pas forcément qui était Tezuka.

Cette conscience du background de ses lectures est assez caractéristique du lecteur de comics, même du lecteur de comics de base. Elle est même implicite à son état de lecteur de comics. Et c'est une caractéristique qui est quand même assez geek par essence. Cette conscience du background, c'est même la caractéristique fondamentale du vrai geek, qu'il soit rôliste, lecteur de comics, amateur de cinéma Z ou tout cela à la fois.

à une époque où on appelle geek indifféremment l'utilisateur d'iPhone et le déguisé de Japan Expo, il serait peut-être temps de remettre les pendules à l'heure et de rétablir le terme de geek dans son vrai sens (pas son sens originel, faut pas déconner non plus, je bouffe pas des poulets vivants)*.

Je propose donc la création d'un groupuscule, la Forza Cuncolta Geek Canal Historique, par Crom.



PS : si vous avez TOUT compris à ce qui précède et capté TOUTES les références, alors vous êtes un gros geek.


* Il est d'ailleurs possible que la corporation des vrais geeks de cirque aient vu, en leur temps, d'un très mauvais œil l'émergence des geeks lecteurs de comics et de pulps. Auquel cas les geeks lecteurs de comics sont aux chatouilleurs d'iPhones ce que les phénomènes de foire étaient aux lecteurs de pulps. Et là, franchement, ça fait flipper.

Commentaires

soyouz a dit…
Eh oh : gros toi-même, d'abord ! Non mais !
cubik a dit…
ok, je suis un gros geek
Edmond TOURRIOL a dit…
Pour commencer, il faudrait expliquer aux journalistes la différence entre un NERD et un GEEK. Rien que ça, ce serait salutaire.
Zaïtchick a dit…
Ouf, je ne connais ni MPD Psycho, ni Van Helsing. Je ne suis donc pas un geek.
Odrade a dit…
C'est qui Batman ?


O.
Uriel a dit…
Et je suis même un gros geek qui désapprouve un de tes choix : pour les univers partagés en mangas tu aurais mieux fait de citer Go Nagai, je suis d'ailleurs étonné que Jay W. ne soit pas déjà venu gueuler...

Mais bon, comme tu parles de Hellsing je te pardonne...
Alex Nikolavitch a dit…
certes, certes, mais il n'a pas poussé assez loin le truc, à ma connaissance : j'aurais voulu voir le duel Alcor / Devilman.
JayWicky a dit…
C'est dommage que je ne sache pas comment poster un facepalm sur ce bazar, parce que le duel Alcor/Devilman, effectivement, il a eu lieu il y a 40 ans cette année, même que c'était un duel à moto :

http://vimeo.com/1158032

(Bon, évidemment, il faut savoir qu'Alcor, c'est le nom français du pilote de Mazinger Z)

(Aussi, cliquez sur mon nom pour en savoir plus sur le Devilman en slip)
Odrade a dit…
Mazinger Z ?
Tu parles de Goldorak, là ?
Ben Alcor pilote l'Alcorak (ou l'OVTerre, au début), pas Goldorak. Ca, c'est Actarus.

Faut pas tout confondre.


O.
Alex Nikolavitch a dit…
Goldorak, c'est Ufo Robot Grendizer.

Avant de piloter l'OVT, Alcor a bien piloté le Mazinger. dans une autre série.
Odrade a dit…
Il a fait ça ?!

Et il n'en a jamais rien dit dans Goldorak ?
Oh le faquin, le fourbe.
Moi qui croyais que c'était un naïf enthousiaste !
Va me falloir un peu de temps pour digérer ton info, là.
...
...
Un thé me fera du bien, tiens.


O.
JayWicky a dit…
Hé pourtant si, Alcor en parle dès le premier épisode, seulement le dialogue français passe la référence à l'as (normal vu le contexte). Cela dit, les images montrent bien qu'il a un vieux flashback sur ses années folles aux commandes de Mazinger Z. On peut le vérifier ici, en scrollant jusqu'à 2 minutes 25 :

http://rutube.ru/video/d28d8426715cfa4f6daec022ec0c52f2/
JayWicky a dit…
J'en profite pour signaler le document suivant, qui atteste qu'une fois, le Capitaine Flam a été raide sur Alcor :

http://i83.servimg.com/u/f83/11/83/60/60/raid_s10.jpg

Mais Alcor prétend qu'il avait bu et qu'il ne se souvient plus de rien:

http://i43.servimg.com/u/f43/11/83/60/60/raid_s10.jpg
Alex Nikolavitch a dit…
le terme technique est :


"kilékon"

Posts les plus consultés de ce blog

Le Messie de Dune saga l'autre

Hop, suite de l'article de l'autre jour sur Dune. Là encore, j'ai un petit peu remanié l'article original publié il y a trois ans. Je ne sais pas si vous avez vu l'argumentaire des "interquelles" (oui, c'est le terme qu'ils emploient) de Kevin J. En Personne, l'Attila de la littérature science-fictive. Il y a un proverbe qui parle de nains juchés sur les épaules de géants, mais l'expression implique que les nains voient plus loin, du coup, que les géants sur lesquels ils se juchent. Alors que Kevin J., non. Il monte sur les épaules d'un géant, mais ce n'est pas pour regarder plus loin, c'est pour regarder par terre. C'est triste, je trouve. Donc, voyons l'argumentaire de Paul le Prophète, l'histoire secrète entre Dune et le Messie de Dune. Et l'argumentaire pose cette question taraudante : dans Dune, Paul est un jeune et gentil idéaliste qui combat des méchants affreux. Dans Le Messie de Dune, il est d

Le dessus des cartes

 Un exercice que je pratique à l'occasion, en cours de scénario, c'est la production aléatoire. Il s'agit d'un outil visant à développer l'imagination des élèves, à exorciser le spectre de la page blanche, en somme à leur montrer que pour trouver un sujet d'histoire, il faut faire feu de tout bois. Ceux qui me suivent depuis longtemps savent que Les canaux du Mitan est né d'un rêve, qu'il m'a fallu quelques années pour exploiter. Trois Coracles , c'est venu d'une lecture chaotique conduisant au télescopage de deux paragraphes sans lien. Tout peut servir à se lancer. Outre les Storycubes dont on a déjà causé dans le coin, il m'arrive d'employer un jeu de tarot de Marseille. Si les Storycubes sont parfaits pour trouver une amorce de récit, le tarot permet de produite quelque chose de plus ambitieux : toute l'architecture d'une histoire, du début à la fin. Le tirage que j'emploie est un système à sept cartes. On prend dans

Fais-le, ou ne le fais pas, mais il n'y a pas d'essai

 Retravailler un essai vieux de dix ans, c'est un exercice pas simple. Ça m'était déjà arrivé pour la réédition de Mythe & super-héros , et là c'est reparti pour un tour, sur un autre bouquin. Alors, ça fait toujours plaisir d'être réédité, mais ça implique aussi d'éplucher sa propre prose et avec le recul, ben... Bon, c'est l'occasion de juger des progrès qu'on a fait dans certains domaines. Bref, j'ai fait une repasse de réécriture de pas mal de passages. Ça, c'est pas si compliqué, c'est grosso modo ce que je fais une fois que j'ai bouclé un premier jet. J'ai aussi viré des trucs qui ne me semblaient plus aussi pertinents qu'à l'époque. Après, le sujet a pas mal évolué en dix ans. Solution simple : rajouter un chapitre correspondant à la période. En plus, elle se prête à pas mal d'analyses nouvelles. C'est toujours intéressant. La moitié du chapitre a été simple à écrire, l'autre a pris plus de temps parce q

Hail to the Tao Te King, baby !

Dernièrement, dans l'article sur les Super Saiyan Irlandais , j'avais évoqué au passage, parmi les sources mythiques de Dragon Ball , le Voyage en Occident (ou Pérégrination vers l'Ouest ) (ou Pèlerinage au Couchant ) (ou Légende du Roi des Singes ) (faudrait qu'ils se mettent d'accord sur la traduction du titre de ce truc. C'est comme si le même personnage, chez nous, s'appelait Glouton, Serval ou Wolverine suivant les tra…) (…) (…Wait…). Ce titre, énigmatique (sauf quand il est remplacé par le plus banal «  Légende du Roi des Singes  »), est peut-être une référence à Lao Tseu. (vous savez, celui de Tintin et le Lotus Bleu , « alors je vais vous couper la tête », tout ça).    C'est à perdre la tête, quand on y pense. Car Lao Tseu, après une vie de méditation face à la folie du monde et des hommes, enfourcha un jour un buffle qui ne lui avait rien demandé et s'en fut vers l'Ouest, et on ne l'a plus jamais revu. En chemin,

Le silence des anneaux

 C'était un genre de malédiction : chaque fois que j'ai essayé de me mettre aux Anneaux de Pouvoir, j'ai eu une panne d'internet dans la foulée. Et comme je peux pas tout suivre non plus, et que sans m'avoir totalement déplu, les premiers épisodes ne m'avaient pas emporté, j'étais passé à autre chose. Finalement, j'ai complété la première saison. Je vous ai dit que j'étais toujours super en avance sur les série télé ? Genre j'ai fini The Expanse l'an passé seulement. Et donc, qu'est-ce que j'en pense ? On est un peu sur le même registre que Fondation . Des tas de concepts sont repris, d'autre sont pas forcément compris, et on triture la chronologie.   C'est compliqué par le fait que les droits ne couvrent que le Seigneur des Anneaux et ses appendices, une source forcément incomplète dès qu'on se penche sur les origines de ce monde. Le reste est zone interdite et les auteurs ont dû picorer dans des références parfois obsc

Nettoyage de printemps

 Il y a plein de moyens de buter sur un obstacle lorsqu'on écrit. Parfois, on ne sait pas comment continuer, on a l'impression de s'être foutu dans une impasse. C'est à cause de problèmes du genre qu'il m'arrive d'écrire dans le désordre : si je cale à un endroit, je reprends le récit plus tard, sur un événement dont je sais qu'il doit arriver, ce qui me permet de solidifier la suite, puis de revenir en arrière et de corriger les passages problématiques jusqu'à créer le pont manquant.  D'autres tiennent à des mauvais choix antérieurs. Là, il faut aussi repartir en arrière, virer ce qui cloche, replâtrer puis repartir de l'avant. Souvent, ça ne tient qu'à quelques paragraphes. Il s'agit de supprimer l'élément litigieux et de trouver par quoi le remplacer qui ne représente pas une contrainte pour le reste du récit. Pas praticable tout le temps, ceci dit : j'en parlais dernièrement, mais dès lors qu'on est dans le cadre d'

Sortie de piste

 Deux sorties culturelles cette semaine. C'est vrai, quoi, je ne peux pas rester confiner non stop dans mon bunker à pisser du texte. La première, ça a été l'expo sur les chamanes au musée du Quai Branly, tout à fait passionnante, avec un camarade belge. Je recommande vivement. Les motifs inspiré des expériences psychédéliques Les boissons locales à base de lianes du cru Les tableaux chamaniques Truc intéressant, ça s'achève par une expérience en réalité virtuelle proposée par Jan Kounen, qui visiblement n'est jamais redescendu depuis son film sur Blueberry. C'est conçu comme un trip et c'en est un L'autre sortie, avec une bonne partie de la tribu Lavitch, c'était le Dune part 2 de Denis Villeneuve. Y a un lien entre les deux sorties, via les visions chamaniques, ce qu'on peut rapprocher de l'épice et de ce que cela fait à la psyché de Paul Muad'dib. Par ailleurs, ça confirme ce que je pensais suite à la part 1, Villeneuve fait des choix d&#

Archie

 Retour à des rêves architecturaux, ces derniers temps. Universités monstrueuses au modernisme écrasant (une réminiscence, peut-être, de ma visite de celle de Bielefeld, il y a très longtemps et qui a l'air d'avoir pas mal changé depuis, si j'en crois les photos que j'ai été consulter pour vérifier si ça correspondait, peut-être était-ce le temps gris de ce jour-là mais cela m'avait semblé bien plus étouffants que ça ne l'est), centres commerciaux tentaculaires, aux escalators démesurés, arrière-lieux labyrinthiques, que ce soient caves, couloirs de service, galeries parcourues de tuyauteries et de câblages qu'on diraient conçues par un Ron Cobb sous amphétamines. J'erre là-dedans, en cherchant Dieu seul sait quoi. Ça m'a l'air important sur le moment, mais cet objectif de quête se dissipe avant même mon réveil. J'y croise des gens que je connais en vrai, d'autres que je ne connais qu'en rêve et qui me semblent des synthèses chimériqu

Da Rohonczi Code

C'est sans doute assez idiot, mais je me passionne en ce moment pour l'iconographie du Codex Rohonczi. Moins connu que le Manuscrit Voynich, c'est un de ces bouquins dont le texte a longtemps résisté à toute lecture (dans les deux cas, on a proposé des traductions assez prosaïques, que les aficionados des secrets et mystères rejettent parce que comme souvent, la solution du mystère est inférieure au mystère lui-même) (c'est ce que j'appelle le "Principe de Felt", du nom du clampin médiocre entré dans l'histoire sous le nom de "Gorge Profonde"). C'est de ce truc là que je vais parler Bref, tel quel, le Codex découvert en Hongrie est probablement une Histoire Sainte écrite dans un dialecte archaïque du roumain, avec un alphabet qui n'en est pas un (150 caractères, quand même) et date du XVIe siècle (mais est peut-être une copie d'un ouvrage plus ancien). Pour le coup, sans les illustrations à base d'auréoles, d'ailes

Nettoyage de printemps (bis)

 Une étagère de mon bureau était en train de s'effondrer sous le poids des bouquins. C'est un peu le destin de toutes les étagères à bouquin en agglo, surtout lorsque comme moi on pratique le double rayonnage et la pile branlante.     J'ai profité de deux facteurs, du coup : 1- Ma connexion internet était à nouveau en rade et je ne pouvais plus bosser. 2- Mon fiston avait besoin que je lui file un coup de main dans son appart et que je l'aide à acheter un peu de matériel à cet effet, dans une grande surface spécialisée au nom absurde puisqu'il associe la fonction d'Arthur au nom de son enchanteur, créant une fusion à la Dragon Ball dont Chrétien de Troyes n'aurait osé rêver. Bref, j'ai passé les deux jours suivant à virer des étagères déglinguées, à les remplacer par des trucs de meilleure qualité et d'un peu plus grande capacité (oui, c'était pensé) pour m'apercevoir de deux trucs : 1- Le modèle que j'ai acheté a changé de quelques centi